Trois navires sont bloqués à Malte et en Italie (LifelineSeefuchs, et Iuventa) pour cause d’irrégularité administrative ou étant accusés de soutenir l’immigration illégale et les réseaux de trafiquants. Cette criminalisation des navires de sauvetage des organisations non gouvernementales (ONG) a fait l’objet d’une attention particulière de l’Agence de l’UE pour les droits fondamentaux rappelant que « la lutte contre le trafic de migrants ne doit pas résulter en sanctions contre les personnes soutenant les personnes déplacées agissant sur des considérations humanitaires, y compris les ONG sauvant des vies durant les opérations de recherche et de secours ». D’autres navires ont cessé leur mission tels que le Vos Hestia (ONG Save the Children), le Minden(ONG Lifeboat), le Golfo Azzurro (ONG ProActiva), Prudence (Médecins sans frontières). Le Phoenix de l’ONG Moas a réorienté ses acticités pour porter secours au Rohingyas au large de la Birmanie, et l’Open Arms de l’ONG ProActiva porte maintenant secours aux migrants au large du Maroc.

L’Aquarius était finalement le dernier bateau de sauvetage mené par une ONG en Méditerranée centrale mais le Panama a annoncé le 22 septembre le retrait de son pavillon ce qui l’empêche actuellement de poursuivre ses missions. Un nouveau bateau de sauvetage le Mare Ionio, battant pavillon italien, a quitté le 4 octobre la Sicile pour entamer des opérations de sauvetage et de témoignage en Méditerranée centrale au large des côtes libyennes. Issue d’une plateforme sociale nommée Operazione Mediterranea, l’initiative est soutenue par deux ONG, Sea Watch et Proactiva Open Arms. Cette dernière a également annoncé le 29 septembre l’envoi de son navire Astral en Méditerranée centrale. Une autre ONG intervient quant à elle depuis les airs. Avec leur avion Colibri, Pilotes volontaires assurent des missions de surveillance au-dessus de la Méditerranée pour repérer les bateaux de migrants en détresse et appuyer les opérations de secours. Enfin, après avoir été bloqué durant plusieurs mois à Malte, le Sea Watch 3 a annoncé le 22 octobre reprendre ses activités de sauvetage et de témoignage en mer Méditerranée.

Le rôle des ONG est crucial dans le sauvetage des migrants en Méditerranée centrale. Selon le rapport 2017 des garde-côtes italiens , les bateaux d’ONG ont effectué 26% des sauvetages en 2016 et 41% en 2017. Ce sont les premiers acteurs des opérations de secours et de sauvetage, viennent ensuite les garde-côtes italiens, et les opérations européennes déployés depuis plusieurs années en mer Méditerranée. L’opération Themis, dirigée par Frontex, a remplacé en février 2018 l’opération Triton qui était en place depuis le 1er novembre 2014. Elle appuie l’Italie dans ses activités de contrôle des frontières, et s’étend de l’Algérie à l’Albanie. L’opération EUNavForMed Sophia a été lancée en juin 2015 et est opérationnelle à partir de 322 kilomètres au sud de la Sicile jusqu’aux eaux territoriale libyennes. Elle a principalement pour but de lutter contre l’immigration irrégulière et de démanteler les activités de passeurs, et mène également certaines opérations de sauvetage. L’opération Poséidon est quant à elle géré par Frontex pour appuyer la Grèce sur la surveillance des frontières, le sauvetage, l’enregistrement et l’identification des migrants, et l’opération Indalo assure la même mission auprès de l’Espagne. Selon les données de Frontex et de l’OIM , 426 361 personnes ont été secourues en Méditerranée depuis 2015 à travers ces différentes opérations.

En outre, il faut noter le rôle accru ces derniers mois des autorités libyennes dans les opérations de sauvetage. Selon la Commission européenne, au 30 août 2018, 13 185 migrants ont été secourus par les autorités libyennes en 2018. Le nombre d’opérations « d’interceptions/sauvetage » a augmenté de 194%. Cette montée en responsabilité des autorités libyennes fait partie des objectifs à atteindre de l’Union européenne et s’inscrit dans son plan d’action pour soutenir l’Italie dans la gestion de pression migratoire le long de la Méditerranée centrale . Son premier point d’action est le renforcement de la coordination des activités de recherche et de secours, dont l’établissement de zones de secours et de sauvetage (Safe and rescue - SAR) et de centres de coordination des secours nationaux (MRCC) pour les Etats nord- africains notamment la Tunisie, l’Egypte et la Libye. Concrètement, la Libye est souveraine dans ses eaux territoriales à 19 kilomètres de ses côtes. Au-delà, la Méditerranée se découpe en zones SAR déclarées auprès de l’Organisation maritime internationale (OMI), chacune associée à un MRCC qui reçoit les signaux de détresse de la zone et qui coordonne les opérations de sauvetage. La Libye n’étant pas en capacité de déclarer une zone et de coordonner les secours, c’était l’Italie qui assurait ce rôle jusqu’à présent. L’objectif de ce plan d’action est que la Libye prenne le relai de l’Italie sur l’organisation et la coordination des secours sur cette zone. Cette étape fut officiellement finalisée le 27 juin 2018 par l’enregistrement d’une zone SAR à 200 kilomètres au nord de la capitale Tripoli auprès de l’Organisation maritime internationale, et la création d’un MRCC libyen.

Ainsi, ce n’est plus le MRCC italien basé à Rome qui reçoit les signaux d’alerte pour cette zone SAR, mais celui de Tripoli qui doit désigner le navire le plus proche pour intervenir. Cependant, les récents témoignages des bateaux humanitaires de sauvetage indiquent une absence récurrente de réponse de la part du  MRCC libyen, qui peine par ailleurs à communiquer en anglais. Des altercations avec les garde-côtes libyens lors d’opérations de sauvetage ont également été rapportées par les ONG depuis 2016, qui se sont intensifiées depuis l’automne 2017. Pourtant l’établissement de cette zone SAR n’interdit pas la circulation des bateaux humanitaires. Lors de la dernière opération de l’Aquarius fin septembre, les garde-côtes libyens ont demandé à ce que les rescapés leur soient remis. Or, le droit maritime exige que tout rescapé soit débarqué dans un port sûr et aucun lieu de débarquement en Libye ne peut être considéré comme tel selon le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés.

La montée en responsabilité des autorités libyennes sur les opérations de sauvetage et d’interceptions des navires suscite par ailleurs de fortes inquiétudes quant au sort des migrants une fois renvoyés en Libye, où les conditions de détention inhumaines sont de plus en plus dénoncées. Il est également toujours impossible d’évaluer le nombre de personnes détenues dans les centres officieux gardés par des milices. Malgré cette situation préoccupante, la Commission européenne et plusieurs Etats membres considèrent la réduction des arrivées irrégulières sur le territoire européen comme un indicateur de réussite de la politique européenne d’asile et d’immigration.