Le 7 mars, les chefs d’État et de gouvernement européens et le premier ministre turc ont affiché un front commun, les deux parties s’accordant sur un mécanisme de renvoi des migrants et des demandeurs d’asile invoquant un besoin de protection depuis la Grèce vers la Turquie, en échange de la réinstallation en Europe de réfugiés syriens accueillis en Turquie. Pour Forum réfugiés-Cosi, l’UE s’apprête à franchir la ligne rouge de l’externalisation de l’examen du besoin de protection internationale.

Certes, une collaboration avec la Turquie pour gérer les flux migratoires et accueillir les réfugiés est nécessaire. Mais si l’ouverture d’une voie légale et sûre d’accès à l’Europe par le moyen de la réinstallation est à saluer, cet accès est trop restrictif, puisqu’il ne concernerait que les réfugiés syriens, alors que la moitié des 91% d’étrangers arrivant en Grèce depuis la Turquie en provenance d’un des principaux pays d’origine des réfugiés ne sont pas syriens (source : HCR). Par ailleurs, rien n’indique comment sera mise en œuvre la réinstallation des réfugiés syriens depuis la Turquie. On peut craindre qu’elle se heurte aux mêmes difficultés que la relocalisation des demandeurs d’asile depuis la Grèce et l’Italie, et ne permette in fine qu’un accueil limité de réfugiés en Europe.

Forum réfugiés-Cosi est fortement préoccupé par la contrepartie, à savoir le renvoi en Turquie de « tous les migrants en situation irrégulière qui partent de la Turquie pour gagner les îles grecques », y compris s’ils cherchent à rejoindre l’Europe pour y demander d’asile. Cette mesure serait rendue possible par le classement de la Turquie comme « pays tiers sûr », ce qui permettrait à la Grèce de ne pas examiner les demandes formulées sur son territoire. Or la Turquie ne peut être qualifiée comme telle, du fait notamment de son adhésion limitée à la Convention de Genève de 1951. Le plan en discussion n’impose aucune obligation d’examen des demandes par la Turquie, qui au demeurant accueille déjà près de trois millions de réfugiés sur son territoire, et dont la législation en matière de protection n’est pas conforme au droit international.

Le renvoi vers la Turquie violerait le principe de non-refoulement si les personnes présentes sur le territoire européen ne pouvaient y demander l’asile et risquaient d’être renvoyées depuis la Turquie dans leur pays d’origine au titre des accords de réadmission en cours de négociation entre la Turquie et 14 pays, dont l’Afghanistan, l’Irak ou le Soudan. L’UE renierait ainsi ses engagements internationaux plutôt que d’assumer ses responsabilités en matière d’asile.

Forum réfugiés-Cosi appelle les chefs d’États et de gouvernements européens à :

  • Ne pas adopter les dispositions qui permettent un renvoi depuis le territoire européen de demandeurs d’asile, le droit européen imposant à tout État membre d’examiner les demandes formulées sur son territoire.
  • Ouvrir des voies légales et sûres d’accès à l’Europe depuis la Turquie à toute personne en besoin de protection, et apporter des garanties sur un engagement des États européens à accueillir les réfugiés réinstallés.
  • Élargir l’accès à la réinstallation aux réfugiés les plus vulnérables, quelle que soit leur nationalité, sur la base des dispositions du Programme européen commun de réinstallation.
  • Accroître le soutien à la Grèce pour répondre à l’urgence humanitaire et accélérer la mise en œuvre du programme de relocalisation des demandeurs d’asile.