Les étrangers en situation irrégulière peuvent faire l’objet d’une décision d’éloignement, généralement une « obligation de quitter le territoire français » (OQTF), délivrée par les préfectures de leur lieu de résidence ou d’interpellation. Parfois assortie d’un délai de départ volontaire, ces décisions constituent la première étape d’un éventuel retour des personnes dans leur pays d’origine.

Afin de mettre en œuvre l’éloignement, la préfecture peut décider de placer l’étranger en centre de rétention administrative (CRA). Cette mesure privative de liberté peut durer jusqu’à 90 jours depuis le 1er janvier 2019, contre 45 jours précédemment. Pendant l’enfermement, l’étranger peut faire valoir ses droits avec l’aide d’associations habilitées, tandis que l’autorité administrative effectue les démarches permettant de mettre en œuvre l’éloignement. L’une d’elle est déterminante : l’obtention d’un « laissez-passer consulaire ».

En effet, dès lors que l’étranger ne dispose pas d’un passeport ou d’un autre titre de voyage délivré par son pays d’origine, la France ne peut pas mettre en œuvre son éloignement. L’ensemble des Etats contrôlent en effet la régularité des arrivées sur leur territoire par voie aérienne, et peuvent refuser l’entrée à toute personne qui ne dispose pas d’un document officiel autorisant cette entrée. C’est pourquoi la France doit solliciter les représentations diplomatiques des pays dont les étrangers déclarent être ressortissants, afin d’obtenir de leur part ce laissez-passer. Cette prérogative relevant de la souveraineté des Etats, ceux-ci ne peuvent se voir imposer de contraintes juridiques en la matière.

Un récent rapport de l’Assemblée nationale, produit dans le cadre du projet de loi de finances 2019, rappelle la complexité de cette démarche. En 2017, seuls 51% des laissez-passer ont été obtenus dans les délais utiles (soit pendant la période de rétention). Ce résultat peu probant est cependant bien meilleur qu’en 2016 (46%) et que les années précédentes – 43% en 2015, entre 35 et 39% sur la période 2012-2014. Un autre rapport s’inscrivant dans le même contexte précise que « la délivrance des documents dans les délais utiles à l’éloignement a crû de 24% au premier trimestre 2018 par rapport au premier trimestre 2017 ».   

La situation est marquée par une grande hétérogénéité selon les pays. Parmi principaux pays d’origine des personnes faisant l’objet d’une OQT, on note ainsi pour 2017 un taux de délivrance dans les délais de 91% pour l’Albanie mais seulement 11% pour le Mali. Les taux sont par ailleurs faibles pour les trois principaux pays d’origine, hors Europe, des étrangers ayant fait l’objet d’une OQTF en 2017 : Algérie (50%), Tunisie (40%) et Maroc (30%).

Cette situation s’explique par des facteurs multiples et variables selon les Etats. Il peut s’agir de difficultés à assurer ces démarches pour certains Etats disposant de ressources diplomatiques limitées, de la nature des éléments recueillis qui ne permettent pas à l’Etat sollicité de reconnaître l’étranger comme l’un de ses ressortissants, ou encore de considérations diplomatiques qui incitent des Etats à une grande souplesse ou au contraire à une certaine rigidité dans la délivrance de laissez-passer. C’est cet aspect diplomatique que le gouvernement a souhaité améliorer en nommant en septembre 2017 un « Ambassadeur chargé des migrations », Pascal Texeira da Silva, qui a décrit une partie de sa mission comme « consistant à engager un dialogue afin d’encourager la coopération consulaire, et (…) la volonté politique ». Six pays prioritaires ont été identifiés : Maroc, Tunisie, Sénégal, Guinée, Côte d’Ivoire, Mali. La coopération avec les pays tiers constitue également un enjeu majeur pour l’Union européenne qui conclut depuis quelques années des accords de réadmission afin de faciliter les retours. 

Lors des récents débats sur la loi asile-immigration et plus récemment dans une instruction du ministère de l’Intérieur , l’allongement de la durée de rétention a été présenté comme une évolution nécessaire afin de disposer d’un temps plus conséquent pour obtenir les laissez-passer. Aucun élément n’a cependant été produit pour démontrer que la durée de rétention de 45 jours était insuffisante. Au contraire, les données détaillées les plus récentes sur la nature des réponses négatives des Etats sollicités, datant de 2016, indiquent que seuls 3% des laissez-passer avaient été obtenus au-delà de la durée maximale de rétention de 45 jours (les autres demandes ayant été refusées, ou restées sans réponse). Le doublement de la durée de rétention depuis le 1er janvier 2019 ne devrait donc pas avoir un impact significatif dans ce domaine, les réponses positives au-delà du délai maximal de rétention étant marginales. C’est pourquoi lors de la présentation de leur rapport commun en juillet 2018, les associations présentes en rétention s’inquiétaient de ces mesures porteuses « de multiples atteintes aux droits pour une efficacité limitée ».