Depuis l’indépendance de l’Erythrée envers l’Ethiopie, déclarée officiellement en 1993, la culture politique imposée par le président érythréen Issayas Aferworki s’est forgée sur le conflit et la nécessité d’auto-défense. Le climat d’hostilité permanent avec les pays voisins, notamment l’Ethiopie, permet de justifier la militarisation, l’enracinement d’un état d’urgence et l’application d’un régime répressif et autoritaire, motifs de l’exil vers l’étranger pour de nombreux Erythréens.

La rapporteuse spéciale de l’ONU a souligné en juin 2017 dans une déclaration que les Erythréens continuent d'être victimes d'un service militaire « qui constitue un asservissement. » Le contentieux avec l’Ethiopie permet en effet au gouvernement érythréen de justifier l’enrôlement obligatoire dans l’armée pour une durée illimitée. Depuis 1995, tous les citoyens, hommes et femmes, âgés de 18 à 40 ans doivent obligatoirement, sauf quelques exceptions, effectuer un service national. Selon l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch , la durée du service dépasse largement la limite annoncée de 18 mois, allant jusqu’à plus d’une décennie. Le service militaire érythréen s’apparente à de l’esclavage, il n’est pas soumis au droit du travail. Des punitions sont infligées, des violences, des viols sont commis en toute impunité. Les personnes qui tentent d’échapper au service militaire sont arrêtées, jetées en prison et accusées de trahison.

Le service militaire obligatoire et les mauvais traitements de la part du régime érythréen sont les principales raisons invoquées par les 972 Erythréens qui ont demandé l’asile en France en 2017. Mais les Erythréens sont prisonniers de leur pays : toute personne tentant de partir sans autorisation peut faire l'objet d'une détention arbitraire. Les personnes qui cherchent à fuir le pays le font uniquement à pied. En 2017, selon le rapport du Haut-Commissariat aux réfugiés sur les personnes déplacées dans le monde, plus de 486 000 Erythréens sont partis se réfugier dans les pays voisins. Parfois, ils vont jusqu’en Libye et tentent la traversée de la méditerranée vers l’Europe. D’après le HCR , sur les 69 067 personnes arrivées en Europe par la Méditerranée entre janvier et septembre 2018, 2 859 venaient d’Erythrée (7ème rang des pays d’origine). 

Début juin 2018, le nouveau Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed - nommé en avril 2018 - a amorcé un profond changement de politique en annonçant son intention de renouer des relations commerciales avec l’Erythrée et d'appliquer la décision sur la démarcation de la frontière pour rendre la ville de Badmé à l'Ethiopie. Cet évènement pourrait permettre un assouplissement du régime imposé aux Erythréens et, à terme, freiner les déplacements forcés de ceux cherchant à fuir cette situation.

Le dégel amorcé a déjà permis le rétablissement des liaisons aériennes, une première brèche dans la politique isolationniste de l’Erythrée. Est-ce que cela va amener à une politique de démilitarisation et donc à la fin du service obligatoire ? A ce jour, le processus de paix avec l’Ethiopie n’annonce cependant pas un retour à un état de droit et au respect des droits humains en Erythrée. Les réfugiés érythréens présents dans des camps en Ethiopie s’inquiètent surtout de probables retours forcés. En cas de fin du service obligatoire illimité, les pays d’accueil, et notamment en Europe, pourraient durcir leur condition d’octroi de l’asile aux Erythréens. La ministre israélienne de la justice a déjà affirmé que Tel-Aviv commencerait à expulser les Érythréens vers leur pays d’origine dès qu’Asmara mettra fin à la conscription militaire obligatoire à durée indéterminée.

Pour en savoir plus sur le régime totalitaire et les répressions en Erythrée, voir l’article issu de lEtat des lieux de l’asile en France et en Europe publié par Forum réfugiés-Cosi en juin 2018.