En juin 2018, en réponse à une crise au sein de son gouvernement, la chancelière allemande Angela Merkel annonce que quatorze Etats membres de l’Union sont prêt à établir des accords avec l’Allemagne pour prendre en charge des demandeurs d’asile présents enregistrés préalablement dans un autre Etat membre.

Peu avant cette annonce , la France avait appelé lors du Sommet franco-allemand de Meseberg à traiter conjointement la question des mouvements secondaires en « renforçant la coopération entre les Etats membres notamment pour empêcher les demandeurs d’asile enregistrés de passer d’un pays à l’autre et garantir la rapidité des transferts vers les États membres compétents et de la réadmission dans ces États ».

Quelques mois plus tard, le Réseau européen pour les réfugiés et les exilés (European council on refugees and exilees – ECRE) révélait dans une note de plaidoyer que plusieurs accords avaient été signés entre l’Allemagne et la Grèce, l’Espagne et le Portugal. Certains de ces accords s’établissent dans le cadre du règlement Dublin III, qui établit des normes et critères visant à déterminer l’Etat responsable d’une demande d’asile, alors que d’autres contournent ce même règlement afin d’accélérer les transferts des demandeurs d’asile.

L’accord entre l’Allemagne et le Portugal entré en vigueur le 10 octobre 2018 fait appel à l’article 36 du règlement Dublin III qui prévoit que des États membres peuvent mettre en place des arrangements administratifs pour faciliter la procédure Dublin, notamment comme dans ce cas, de raccourcir les délais de réponse aux requêtes Dublin (d’un mois au lieu de trois) et dès que possible pour les demandes de reprise en charge.

En revanche, l’accord entre l’Allemagne et la Grèce en vigueur depuis le 18 août 2018 opère un contournement du règlement Dublin. Ainsi, un demandeur d’asile dont les empreintes ont été enregistrées en Grèce dans la base de données Eurodac et qui souhaite déposer une demande de protection internationale en Allemagne se verra refuser l’entrée à la frontière austro-allemande et sera renvoyé vers la Grèce. Les garanties procédurales prévues par le règlement Dublin III sont absentes de cet accord : entretien personnel obligatoire, droit d’appel suspensif contre la décision de transfert, conditions matérielles d’accueil dans l’attente du transfert, et encadrement de la privation de liberté conditionné aux risques de fuite et pour une période limitée. En outre, le règlement Dublin prévoit qu’une personne réadmise dans l’Etat membre responsable où il n’a pas fait l’objet d’une décision définitive, puisse avoir accès à une procédure d’asile sans que sa demande soit considérée comme une demande ultérieure. Puisque la réadmission ne s’est pas opérée dans le cadre de Dublin, la Grèce peut donc considérer la demande comme ultérieure ce qui réduit les droits du demandeur, les garanties procédurales et les conditions matérielles d’accueil. Enfin, l’absence de contrôle judiciaire sur les décisions de retour vers la Grèce ne permet pas de garantir le respect des droits fondamentaux alors que les conditions d’accueil des demandeurs d’asile et le système d’asile sont régulièrement mises en cause dans ce pays. La Commission européenne alerte notamment depuis 2016 sur les difficultés auxquelles fait face le système d’asile grec et a appelé à ne pas y transférer les demandeurs d’asile vulnérables.

Selon le ministère allemand des Affaires intérieures, un accord similaire a été signé avec l’Espagne et en vigueur depuis le 11 août 2018. On apprend également à la lecture de débats au Parlement allemand datant de novembre 2018 qu’un accord entre l’Allemagne et la France basé sur l’article 36 du Règlement Dublin et donc similaire à l’accord avec le Portugal, serait en discussion. Au-delà des enjeux légaux exposés ci-dessus, ces négociations sont marquées par une absence de transparence.

Enfin, la justification première de ces accords est le blocage des discussions sur la réforme du régime d’asile européen commun (RAEC), explicitement cité dans l’accord gréco-allemand. En mettant en place des arrangements outrepassant le cadre légal européen et en ignorant les obligations procédurales, ces Etats remettent en cause la crédibilité même du RAEC et l’utilité d’une harmonisation des normes et des procédures européennes. L’absence de positionnement de la Commission européenne sur ces accords renforce cette menace. Cette situation accentue les divisions déjà fortes dans le débat européen et préjudiciables pour la protection du droit d’asile dans l’UE.