La réduction des arrivées irrégulières sur le territoire européen est souvent mise en avant par la Commission européenne comme un indicateur de réussite de la politique européenne d’asile et d’immigration. Il convient pourtant d’analyser cette dernière plus largement, en s’interrogeant notamment sur la pertinence des réponses apportées par l’UE aux besoins croissants de protection à l’échelle internationale, au regard des engagements de l’UE et de ses Etats membres en matière d’asile.

La baisse des arrivées irrégulières en Union européenne (UE) a été rendue possible par plusieurs éléments de la politique extérieure européenne. D’une part, la déclaration UE-Turquie de mars 2016 a permis de fournir des résultats concrets dans la réduction des flux malgré un nombre toujours plus important de Syriens en exil en Turquie et n’y disposant pas de perspectives durables. En octobre 2015, 6 360 personnes en moyenne arrivaient quotidiennement sur les îles grecques contre 80 personnes en moyenne depuis le 21 mars 2016. Plus largement, le renforcement de la gestion des frontières extérieures a également permis de réduire le nombre d’arrivées grâce aux moyens supplémentaires accordés à Frontex. Enfin, de nouveaux cadres de partenariats de migration ont été initiés en juin 2016 avec les pays tiers d’origine et de transit des migrants pour prévenir la migration illégale, lutter contre les réseaux de passeurs et améliorer les opportunités dans les pays d’origine.

La diminution des arrivées s’est traduite par une baisse importante des demandes d’asile en Europe. Le rapport annuel du Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) publié le 18 juin 2018 relève que 728 470 demandes de protection internationale ont été déposées en 2017 dans l’UE+(1), soit une baisse de 44% par rapport à 2016. Il note que ce chiffre reste cependant supérieur à celui avant la crise de 2015 et souligne le maintien d’une pression migratoire élevée aux frontières extérieures européennes.

Dans son rapport annuel publié en juin 2018 sur les tendances mondiales en matière de déplacements forcés, le Haut-commissariat pour les réfugiés des Nations unies (HCR) met en lumière les besoins croissants de protection et de vulnérabilité des migrants. En 2017, 68,5 millions de personnes ont été forcés de se déplacer suite à des persécutions, des conflits ou des violences généralisés, soit une augmentation de 2,9 millions de personnes par rapport à 2016. Le HCR dénombre parmi eux 25,4 millions de réfugiés, 40 millions de déplacés internes (dans leur propre pays), et 3,1 millions de demandeurs d’asile.

Ainsi alors que les déplacements forcés n’ont jamais été aussi élevés à l’échelle internationale, les orientations politiques visant à freiner les arrivées sont-elles conformes aux engagements pris par l’ensemble des Etats membres de l’UE visant à examiner les besoins de protection de toute personne sollicitant l’asile, y compris lorsqu’elle rejoint un Etat irrégulièrement ?

Le développement de politiques d’asile restrictives ont par ailleurs pour conséquence d’augmenter la dangerosité du parcours migratoire. Si les traversées depuis la Libye vers l’Italie ont diminué, elles se sont avérées de plus en plus périlleuses. Selon le rapport « Voyages du désespoir » publié le 3 septembre 2018 par le HCR, plus de 1 600 personnes ont déjà perdu la vie ou ont disparu cette année en tentant de rejoindre l’Europe. Entre janvier et juillet 2018, une personne sur 18 est décédée ou a disparu lors de la traversée de la Méditerranée, contre une sur 42 au cours de la même période en 2017.

L’Agence de l’UE pour les droits fondamentaux (FRA) relève également dans son rapport annuel d’importants défis en matière de respect des droits fondamentaux malgré la baisse significative des arrivées aux frontières extérieures européennes. Elle pointe notamment une hausse des signalements des comportements abusifs à l’encontre des migrants aux frontières, en particulier sur la route des Balkans occidentaux. La FRA relève également que les politiques de fermeture des frontières ont fortement impacté les migrants restés en Libye, souvent détenus dans des conditions inhumaines et sujets à des actes de torture.

Autant d’éléments qui devraient inciter l’Union européenne et les Etats membres à ne pas seulement analyser l’efficacité et la pertinence des politiques d’asile sous le seul prisme du nombre d’arrivées.

(1) UE+ dénombre les 28 Etats membres de l’Union européen + Norvège + Suisse + Liechtenstein + Islande. Le chiffre dénombre le primo-demandeurs d’asile et les demandes de réexamen.