Alors que la France reste l’État membre de l’Union européenne qui enferme le plus en rétention, nos associations font pour l’année 2018 le constat d’un dispositif de privation de liberté durci par le gouvernement et utilisé massivement par l’administration, souvent au détriment de la protection des droits des personnes enfermées et notamment de leur santé

Dans leur rapport 2018 rendu public le 4 juin 2019, ASSFAM-Groupe SOS Solidarités, France terre d’asile, Forum Réfugiés-Cosi, La Cimade, l’Ordre de Malte France et Solidarité Mayotte mettent en lumière une réalité alarmante dans les centres et locaux de rétention où elles interviennent. Ce rapport téléchargeable ici réunit des chiffres, des analyses et des fiches sur chaque centre de rétention en France métropolitaine et en outre-mer.

En effet, à un recours élevé à l’enfermement, s’ajoutent désormais les effets d’une pression exercée sur les préfectures, qui maintiennent de plus en plus des personnes jusqu’à l’expiration du délai légal de rétention, voire les enferment à plusieurs reprises, quand bien même il n’existe aucune perspective d’éloignement. Ainsi, en 2018, près de 2 000 personnes ont été enfermées plus de quarante jours dans les CRA métropolitains avant d’être remises en liberté, un chiffre en augmentation de 20 % à 30 % par rapport à 2016 et 2017.

 

Des violences et des tensions quotidiennes

Cette politique exacerbe désormais au quotidien des tensions qui n’ont cessé de s’accroître depuis fin 2017. L’effet sur la santé voire la sécurité des personnes se traduit par une recrudescence des actes désespérés, dont un suicide en septembre au CRA de Toulouse et de multiples tentatives, ainsi que des actes graves d’automutilation. Ces événements interviennent dans un contexte marqué par des épisodes de violences désormais quasi-quotidiennes, dont la fréquence inquiète profondément l’ensemble des acteurs intervenant en rétention. Des personnes enfermées ont également manifesté leur révolte, notamment à travers des grèves de la faim dont la fréquence est inédite.

Avec le doublement depuis le 1er janvier 2019 de la durée maximale de rétention passée de 45 à 90 jours, sans prendre en compte les souffrances qu’elle engendre sur des personnes souvent précaires et vulnérables, le gouvernement  maintient la ligne de ses prédécesseurs, qui n’ont cessé de banaliser l’enfermement dans les centres et locaux de rétention administrative.

 

Un taux d’éloignement en baisse mais des enfermements illégaux en hausse

En termes de violation des droits, le constat est accablant, avec des taux de libération par les juges judiciaire ou administratif qui atteignent des niveaux très élevés (38 % en métropole et 25 % outre-mer).

Pour autant, cette politique n’a pas d’impact sur le taux d’éloignement, puisque quatre personnes sur dix étaient éloignées depuis les CRA métropolitains en 2018 comme en 2017, soit une légère baisse par rapport à 2016. Outre-mer, ce taux a également reculé entre 2017 et 2018 (de 59 à 45 %). Ces chiffres interrogent sur la finalité de la rétention, laquelle n’est légalement envisageable que dans le but d’organiser le départ forcé. En principe, elle ne doit  être ni une sanction, ni un moyen de garder à disposition des personnes en situation irrégulière, et ne doit intervenir qu’en dernier ressort. Or, derrière ces chiffres, ce sont près de 45 000 hommes, femmes et enfants, dont des demandeurs d’asile placés sous règlement Dublin, des personnes vulnérables et/ou malades, parfois même des victimes de la traite des êtres humains, qui subissent une privation de liberté, sachant que pour la majorité d’entre eux en métropole et pour un nombre croissant outre-mer, cette privation de liberté n’aura pas été suivie d’éloignement.

Au regard de l’augmentation très préoccupante, et inédite, des violences et des tensions, combinée au caractère disproportionné d’un enfermement pendant une durée pouvant aller jusqu’à trois mois, nos associations ont sollicité et alerté fin 2018 le ministre de l’Intérieur. Elles appellent le gouvernement à tirer les conséquences du constat, objectif, d’une pratique trop souvent irrespectueuse des droits fondamentaux des personnes portant atteinte à leur dignité et leur intégrité, sans pour autant servir les buts affichés.