Le Conseil européen sur les réfugiés et les exilés (ECRE) a publié en novembre 2023 un rapport sur la mise en œuvre du règlement européen Dublin, pour l’année 2022. Ce dernier démontre à nouveau la faible efficacité du dispositif, qui n’a abouti à un transfert que dans 8% des cas.

 

Le règlement européen dit « Dublin », dont la dernière version a été adoptée en 2013, a pour but de déterminer le pays responsable de la demande d’asile d’un individu dans l’Union européenne (UE). Il permet à un État qui s’estime non-responsable, au regard des critères établis dans le règlement, de demander le transfert de la personne vers l’État en charge de sa demande.

D’après le rapport publié par ECRE, réalisé notamment grâce à la base de données sur l’asile en Europe nommée AIDA,  la mise en œuvre du règlement Dublin en 2022 a été marqué par des chiffres sans précédent depuis au moins 2014, avec 17 2850 décisions prises sur 19 291 demandes de transfert.

Dans les demandes sortantes, 70% étaient des demandes de reprise en charge (personnes ayant déjà demandé l’asile dans un autre État membre) et 30% des demandes de prise en charge. La grande majorité des demandes de prise en charge sont fondées sur la délivrance d’un visa ou d’un titre de séjour (article 12), ou sur le critère de l’entrée irrégulière (article 13(1)) : 89% des demandes de prise en charge étaient des demandes au motif que l’État requis avait délivré un document à la personne concernée, ou parce que le demandeur était entré irrégulièrement dans l’UE par ce pays.

Les principaux utilisateurs du système Dublin sont l’Allemagne et la France, avec respectivement 68 709 et 46 488 demandes, soit 28 et 30 % des demandes d’asile déposées dans chaque pays et 60 % de toutes les demandes sortantes. La plus forte augmentation relative a été enregistrée par la Croatie, qui n’a émis que trois demandes en 2021 et 1 955 en 2022.

L’Italie reste le pays qui reçoit le plus de demandes. En 2022, l’Italie a soumis 5 315 demandes sortantes et reçu 27 228 demandes d’autres pays, principalement de l’Allemagne et de la France. Les autres principaux destinataires des demandes pour reprendre ou prendre en charge sont l’Autriche, la Bulgarie, la Croatie et l’Allemagne.

Un nombre très limité de demandes de transfert sont fondées sur l’unité familiale et l’intérêt supérieur de l’enfant (environ 2 % de toutes les demandes de transfert), même si ces dispositions sont au sommet de la hiérarchie des responsabilités et devraient donc être prioritaires. La Grèce est le pays qui applique le plus fréquemment ces critères (environ 58% de ses demandes sortantes en 2022).

La clause de souveraineté (article 17(1)), qui permet à un État membre d’utiliser son pouvoir discrétionnaire pour assumer la responsabilité d’une demande qui pourrait relever de la responsabilité d’un autre État, est rarement utilisée, avec environ 4 800 situations en 2022. C’est la première hausse depuis 4 ans, mais cela reste en dessous du niveau prépandémie. Cependant, de bonnes pratiques émergent en Belgique concernant l’application élargie de la clause (la Belgique représente 50% de son utilisation, suivie à une certaine distance par la France, l’Allemagne et les Pays-Bas).

La grande majorité des demandes Dublin n’aboutissent cependant pas à un transfert : en 2022, seulement 8% des demandes de transfert émises ont abouti au transfert du demandeur. Il s’agit d’une tendance récurrente au fil des ans. Pour les principaux utilisateurs du système Dublin, le pourcentage de transferts sortants réalisés est encore plus faible : en Allemagne, 6% des demandes de transfert ont abouti au transfert du demandeur; en France, 7% (voir notre article sur la France); en Belgique, 6%; et en Autriche, 7%. L’Allemagne et la France restent tout de même les États à avoir effectué la majorité des transferts.

Les quatre pays qui reçoivent le plus de demandes de transfert, c’est-à-dire l’Italie, l’Autriche, la Bulgarie et l’Espagne, ont des taux de transfert entrants inférieurs à 9%. Seuls cinq États ont reçu plus de 1 000 personnes dans le cadre de Dublin (l’Allemagne (3 700), l’Italie (2 331), l’Autriche (1575), la France (1 453) et l’Espagne (1 061)).

Ce faible taux de transfert s’explique notamment par la suspension des transferts par les juges. En 2022, les juges de divers pays se sont opposés à des transferts vers la Croatie, Malte, la Bulgarie, et la Hongrie, pour des motifs tels que les indications de refoulements violents, de refoulement en chaîne de Dublinés, de détention inhumaine, ou encore de détresse matérielle extrême. De plus, depuis des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de justice de l’UE rendus en 2011 et malgré les recommandations de la Commission européenne en faveur des transferts vers la Grèce, aucun transfert n’a eu lieu en 2022.

Le troisième est la suspension des transferts entrants par certains pays. Après l’invasion de l’Ukraine et les déplacements de masse qui ont suivi, la Pologne et la Roumanie ont suspendu tous les transferts un certain temps. Par ailleurs, le 5 décembre 2022, l’unité italienne Dublin a publié une lettre informant ses homologues européens de la suspension des transferts entrants en raison de la saturation du système de réception italien. Les autorités allemandes ont déclaré qu’elles continueraient néanmoins à appliquer la procédure Dublin à l’Italie en tant que « droit communautaire directement applicable », avant que des tribunaux allemands ne statuent contre cette position.

Même lorsque des lacunes systémiques sont constatées ou lorsque des décisions judiciaires régulières bloquent les transferts dans des cas individuels, les États hésitent à adopter des politiques qui suspendent officiellement les transferts. Les cas individuels continuent donc d’engorger les tribunaux nationaux et le principe de confiance mutuelle est de plus en plus contesté.

Le Pacte sur la migration et l’asile, en particulier le règlement Gestion, reprenant globalement les critères de responsabilité de Dublin ne modifiera pas vraiment ce système où les pays aux frontières extérieures de l’UE sont en majorité responsables des demandes d’asile de l’UE et, par conséquent, susceptibles de faire face à des défaillances en raison des volumes de demandes.