Sur le plan interne, imbroglio politique, poursuite de la marginalisation des périphéries et de la violation de droits fondamentaux

La vie politique du Soudan est marquée depuis le début de son histoire contemporaine par des mouvements socio-politiques, avec son lot de répressions sanglantes, et depuis décembre 2018, avec les émeutes déclenchées par le triplement du prix du pain. Jusqu’au 11 avril 2019, date de renversement du président Omar al-Bachir (1989-2019), l’échiquier politique du Soudan était pleinement occupé par le parti présidentiel, le Parti du Congrès, et ses affidés, qui régnait d’une main de fer sur le pays.

Si, au début de l’année 2020, l’espace de la société civile s’est légèrement ouvert, les fondamentaux et la « grammaire » du politique au Soudan restent les mêmes : l’armée (et le puissant Service de sécurité et de renseignement-NISS), même si elle occupe la moitié des postes au sein du Conseil souverain de transition nommé le 17 juillet 2019, contrôle dans les faits les rênes du pouvoir politique (et partiellement économique), face à des défis nombreux et colossaux que le gouvernement soudanais doit impérativement relever : une inflation galopante (plus de 70 % en 2019) ; un chômage rampant, alors que 36 % de la population soudanaise vit dans la pauvreté ; l’absence de règlement des marginalisations et des asymétries de développement économique dans les zones de contentieux territoriaux qui demeurent encore nombreuses (contentieux sur le sud Kordofan, district d’Abiey, Nil Bleu, velléités de plus grande autonomie des Béja à l’est) ; le règlement de la crise du Darfour, toujours au point mort, malgré les négociations en cours, avec, en miroir, sur le terrain, les violations majeures des droits fondamentaux et les difficultés persistantes d’accès humanitaire.  

Sur le plan régional, un équilibre difficile à tenir du fait de contentieux stratégiques variés

Pays de 1,8 millions de km², le Soudan doit gérer de façon simultanée les relations bilatérales avec sept voisins. Le Soudan du Sud, en butte à des luttes intestines pour la captation du pouvoir entre les ethnies les plus influentes (Nuer, Dinka, Shilluk), reste un pays stratégique pour le Soudan, en particulier sur le plan de l’exploitation pétrolière et de l’exportation de l’or noir soudanais vers la mer Rouge. Autres contentieux, le règlement de la question d’Abiey, zone riche en pétrole revendiquée par les deux Soudan(s) et sur laquelle il n’y a pas d’accord entre les deux États. Les relations bilatérales avec l’Égypte se concentrent principalement sur la question de l’accès à l’eau du Nil : l’accord conclu en 1959 concédait à l’Égypte et au Soudan 90 % du débit annuel du fleuve (66 % pour l’Egypte, 22 % pour le Soudan), mais également un droit de veto sur tous les projets amont. C’est sans compter les investissements de l’Éthiopie (projet hydraulique de Grand barrage de la Renaissance), qui, avec le Nil Bleu, fournit plus de 70 % du débit annuel du Nil, et cherche donc à rabattre les cartes.

Les relations entre le Soudan et deux autres pays voisins, la Libye et le Tchad, sont fonctions du soutien apporté aux différents groupes d’opposition et aux milices opposées au gouvernement central des différents États (accusations croisées du Soudan et du Tchad d’avoir soutenu les groupes d’opposition aux deux gouvernements en place en 2008 dans les attaques sur N’Djamena en janvier/février 2008 et Khartoum en mai 2008). De son côté, la Libye a joué le rôle de refuge de certains groupes armés d’opposition darfouri, et a recours à certains « électrons libres » qui ont consacré leur intégration pleine et entière au sein du régime soudanais, à l’instar du Général Mohammad Hamdan Dagalo, dit Hemetti, Chef des Forces de Soutien Rapide (RSF, héritiers des « diables à cheval », les janjawid), ancien conseiller sécurité du gouverneur du Sud Darfour (2009-2011) qui occupe la fonction de Vice-Président du Conseil souverain de transition.

Sur le plan international, à quand la fin des sanctions économiques internationales ?

Sur le plan international, les voies et stratégies politiques ne semblent pas toujours concorder au sein de l’exécutif soudanais. Si aujourd’hui l’alliance avec l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis ne semble pas remise en cause, le Soudan cherche également à renforcer et diversifier ses partenaires sur le plan politique et économique (Chine, premier partenaire commercial du Soudan, relations avec le Qatar et la Turquie, en miroir du degré de rapprochement avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis), et sur le plan militaire (Russie, via la compagnie privée de sécurité Wagner). Au-delà de la question du rétablissement des relations bilatérales avec Israël suite à une rencontre en Ouganda, en février 2020, de représentants soudanais et israéliens, le Conseil souverain de transition et le gouvernement intérimaire se trouvent dans une course contre la montre pour obtenir le retrait du Soudan de la liste des États soutenant le terrorisme, le Soudan se trouvant sur cette liste depuis 1993. Dernière pierre d’achoppement : la remise d’Omar al-Bachir à la Cour pénale internationale (CPI), suite aux mandats d’arrêts émis par la CPI en 2009 et 2010 pour crime de guerre, crimes de génocide et crimes contre l’humanité, qui est loin de faire l’unanimité au sein de l’exécutif soudanais

Conclusion

L’histoire politique contemporaine du Soudan se lit jusqu’à présent au travers de ses personnalités au pouvoir, en majorité des militaires. Et si le salut du Soudan venait de la force de ce mouvement de contestation socio-politique sans équivalent dans le pays, et de la société civile, et donc d’une autre forme de gouvernementalité ? Au-delà de 2020, c’est la résilience politique du Soudan qui le dira. 2020 : une année, en définitive, de tous les dangers pour le pays.

 

Nordine Drici, chercheur et directeur du cabinet d’expertise et de conseil ND Consultance

 

Photo d'illustration : © EU/ECHO/Anouk Delafortrie