L’affaire Msallem et autres contre Belgique concerne 148 demandeurs d’asile sans hébergement du fait d’un manque de place dans les centres belges, et ayant déjà obtenu une décision définitive en leur faveur du tribunal du travail de Bruxelles. Ce dernier a en effet ordonné à l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile belge (Fedasil) de fournir aux intéressés un lieu d’accueil, dans un centre, un hôtel ou un établissement adapté à défaut de places disponibles, ainsi qu’une assistance matérielle, conformément à la loi du pays. Cependant, ces ordonnances n’ont pas été exécutées.

Les requérants ont donc saisi la Cour européenne des droits de l’homme d’une demande de mesure provisoire en invoquant l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), interdisant la torture et les traitements inhumains ou dégradants.

Mi-novembre, une chambre de sept juges de la Cour a prononcé une mesure provisoire, enjoignant à l’État belge d’exécuter les ordonnances du tribunal du travail de Bruxelles rendues pour chacun des requérants, et de leur fournir un hébergement et une assistance matérielle pour faire face à leurs besoins élémentaires pour la durée de la procédure devant la Cour.

Une décision similaire avait déjà été prise le 31 octobre 2022 dans l’affaire Camara c. Belgique, concernant un demandeur d’asile à la rue depuis quatre mois. Ce dernier avait invoqué une violation de l’article 3, de l’article 6 (droit à un procès équitable), de l’article 13 (droit à un recours effectif) et de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la CEDH. Il s’était plaint de la non-exécution de l’ordonnance du tribunal belge, de ne pas avoir bénéficié d’un recours effectif et d’avoir subi une violation de son droit à la vie privée. De plus, il a invoqué la baisse des températures et l’épidémie de gale parmi les demandeurs d’asile sans domicile fixe.

Il est à noter que les mesures temporaires, qui ne sont prises qu’à titre exceptionnel, ne préjugent pas de la recevabilité ou du fond des affaires. Néanmoins, elles établissent un risque réel de dommages irréparables aux requérants.

Ces décisions pourraient trouver une application dans le contexte français, marqué par des conditions d’accueil dégradées pour de nombreux demandeurs d’asile. À l’échelle nationale, et malgré l’absence de données publiques à ce sujet, on estime que près d’un quart des demandeurs d’asile présent sur le territoire ne dispose pas des conditions matérielles d’accueil (CMA), c’est-à-dire qu’elles ne bénéficient ni de l’allocation pour demandeur d’asile versée mensuellement, ni d’un hébergement dans une structure dédiée. Par ailleurs, une part importante des demandeurs d’asile éligibles aux CMA ne sont orientés vers un hébergement dédié (42% en 2021) et ne disposent que de l’ADA dont la majoration prévue dans ces situations (7,4 € par jour et par ménage) ne permet pas de disposer d’un hébergement.

En 2020, la Cour européenne des droits de l’homme a rappelé à la France, dans une affaire portant sur la situation de demandeurs d’asile privés de conditions d’accueil pendant de longues périodes (affaire N.H et autres c. France, 2 juillet 2020), que l’État est tenu par une obligation de résultats et non de moyens en matière de respect de l’article 3 de la CEDH. Au regard de cette décision au fond, et des mesures provisoires évoquées précédemment concernant la Belgique, la conformité de la situation française au regard de la CEDH pourrait être questionnée davantage à l’avenir.

D’autres juridictions ont par ailleurs rappelé ces dernières années que la précarité des demandeurs d’asile ne permettait pas un bon exercice du droit d’asile. Dès 2009, le Conseil d’État a affirmé que la privation des CMA peut constituer une atteinte manifestement illégale au droit d’asile : dans une situation de trop grande précarité, le demandeur peut se trouver dans l’incapacité d’exprimer ses craintes auprès des instances d’asile et être soumis à un renvoi dans un pays où sa sécurité, voire sa vie, sont menacées (CE, 23 mars 2009). C’est pour la même raison que la Cour de justice de l’Union européenne, dans l’affaire Haqbin, du 12 novembre 2019, interprétant la directive Accueil, a indiqué que le retrait, même temporaire, du bénéfice des conditions matérielles d’accueil, ne dispense pas l’État de l’obligation de garantir au demandeur un niveau de vie digne.