Le système d’accueil des demandeurs d’asile en Belgique a atteint un niveau de saturation depuis septembre 2021, entraînant une priorisation des personnes les plus vulnérables par les autorités. En août 2023, une instruction a officiellement acté la suspension temporaire de l’accueil des hommes seuls. Une situation qui place le pays en contradiction avec le droit européen.

 

L’accueil des demandeurs d’asile en Belgique est assuré par Fedasil, un organisme gouvernemental fédéral. Le réseau d’accueil compte plus de 34 000 places et environ 800 places dans des centres d’arrivées. En septembre 2021, Fedasil indiquait que le réseau d’accueil était en difficulté, le taux d’occupation étant alors de 96 %. Fedasil décida donc d’accorder la priorité aux demandeurs les plus vulnérables, excluant donc très souvent les hommes seuls. Les refuges pour sans-abris étant eux aussi complets, de nombreux demandeurs d’asile se sont retrouvés à la rue ou dans des squats. En octobre 2022, il y a même eu des jours où Fedasil ne pouvait pas fournir d’abri aux familles avec enfants. Les organisations de la société civile affirment que la mauvaise gestion à long terme du réseau d’accueil doit être considérée comme une des causes principales de la pénurie, principalement parce que les centres ont été systématiquement fermés et le personnel licencié dans les périodes où le taux d’occupation était plus faible. En mars 2023, le gouvernement belge a annoncé la création de places d’accueil supplémentaires, et le doublement des retours forcés pour libérer des places. Cependant, l’ouverture rapide n’est pas aisée et les retours dépendent largement de la coopération des pays d’origine.

Les tribunaux belges ont condamné l’État à de nombreuses reprises (plus de 8 000 fois selon le rapport AIDA concernant la Belgique). Afin de faire appliquer les jugements nationaux, certains requérants ont introduit des demandes devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Des mesures provisoires ont été accordées, les premières dans l’affaire Camara contre Belgique, le 31 octobre 2022.  La Cour a décidé d’enjoindre à l’État belge d’exécuter l’ordonnance du tribunal du travail de Bruxelles et de fournir au demandeur un hébergement et une assistance matérielle afin de répondre à ses besoins fondamentaux. Depuis, la Cour européenne a accordé des mesures provisoires dans plus de 1 000 affaires.

En juillet 2023, la CEDH a fini par condamner la Belgique dans une décision au fond, toujours dans l’affaire Camara contre Belgique, pour violation de l’article 6 (droit à un procès équitable) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en dénonçant des « carence systémique des autorités belges d’exécuter les décisions de justice définitives ».

Le pays, toujours confronté à la saturation de son réseau d’hébergement de demandeurs d’asile, a décidé de « suspendre temporairement », et officiellement, par une instruction, l’accueil des hommes seuls en août 2023, dans le but de privilégier les familles. La Commission européenne a annoncé qu’elle prendrait contact avec les autorités belges pour obtenir des informations sur cette annonce qui va à l’encontre du droit européen, l’article 17 de la directive 2013/33 relative à l’accueil des personnes demandant la protection internationale obligeant les Etats membres à fournir, pour les demandeurs sans ressources suffisantes et respectant certaines règles, des conditions matérielles d’accueil (incluant un logement (article 2)), afin de leur garantir un niveau de vie adéquat. En outre, la Convention européenne des droits de l’homme interdit la torture (article 3), tout comme la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (UE) (article 4), cette dernière protégeant également la dignité humaine (article 1).

Le Conseil d’Etat belge a quant à lui annoncé la suspension de l’instruction précitée, non conforme au droit européen et à sa transposition dans le droit national. Cependant, Nicole de Moor, la Secrétaire d’Etat à l’asile et la migration, a annoncé maintenir sa politique, en raison du manque de place persistant.

Cette situation se retrouve, sous des formes diverses, dans plusieurs pays de l’Union européenne. En France, l’accueil des demandeurs d’asile demeure marqué par des manques structurels (voir notre article de mai 2023). A la fin de l’année 2022, seuls 41% des demandeurs d’asile étaient hébergés dans un dispositif dédié, et plus de 30% ne s’étaient vu attribuer aucune condition d’accueil (pas d’hébergement mais pas non plus d’allocation pour demandeur d’asile).

Dans une lettre de mai 2023 adressée au Premier ministre irlandais, au ministre irlandais des enfants, de l’égalité, du handicap, de l’intégration et de la jeunesse et au ministre du logement, des collectivités locales et du patrimoine, la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, soulève qu’en raison d’un grave manque de places disponibles, plus de 900 demandeurs de protection internationale se sont retrouvés sans abri, tandis que les familles avec enfants sont souvent hébergés pendant de longues périodes dans des conditions inadéquates (centres de transit surpeuplés). Elle explique que la situation, qui se produit dans le contexte d’une crise du logement plus large en Irlande, a pu contribuer à un sentiment anti-réfugiés à travers le pays, ayant conduit à plusieurs incidents inquiétants (des abris de rue ont par exemple été brûlés).

En avril 2022, ce sont environ 1500 Ukrainiens qui ont commencé à séjourner sur un navire Holland America Line amarré dans la ville néerlandaise de Rotterdam, par manque d’autres infrastructures. En août 2022, la ville d’Amsterdam a approuvé un plan visant à accueillir temporairement au moins 1 000 personnes sur un navire de croisière amarré dans le port de la capitale néerlandaise, car des centaines de demandeurs d’asile dormaient devant un centre d’accueil.

Les lacunes dans l’hébergement ne dissuaderont pas les exilés de demander l’asile en Europe, elles ne doivent donc pas être utilisées comme moyen de freiner les arrivées et devraient être corrigées d’urgence pour une meilleure efficacité des systèmes d’asile nationaux.