Le 11 mars 2025, la Commission européenne présentait sa proposition de règlement dit “retour”, remplaçant la directive de 2008 qui pose un cadre juridique commun pour l’éloignement des personnes ressortissantes de pays tiers en situation irrégulière dans l’Union. Ce texte qui fait primer l’urgence et la coercition suscite, en l’état, de fortes inquiétudes concernant le respect des droits fondamentaux.

Au terme de nombreuses annonces politiques de la Commission européenne et d’analyses préliminaires sur les centres de retour, l’exécutif européen a proposé le 11 mars 2025 un règlement sans mesure d’impact ni consultation préalable de la société civile. Héritier de plusieurs tentatives de refonte, à l’instar de la proposition de 2018 contre laquelle le réseau ECRE mettait déjà en garde, le règlement reprend une philosophie qui force son chemin depuis plusieurs années : le renforcement, la systématisation et l’uniformisation des éloignements des personnes ressortissantes de pays tiers dans l’Union. La nature règlementaire du texte fait craindre l’application directe dans le droit français de mesures particulièrement restrictives, aux contours et aux portées imprécises et inquiétantes.

 

Les centres ou hubs de retour aux contours juridiques incertains

Inscrits dans une logique d’externalisation, ces hubs sont envisagés comme des centres situés dans des pays tiers que l’Union jugerait “sûrs”, aux fins d’admission des personnes que les Etats membres souhaitent éloigner. Des accords ou arrangements conclus avec les pays tiers - que le règlement ne prévoit pas soumettre contrôle du législateur - seront un préalable à ces transferts. En février dernier, l’agence européenne pour les droits fondamentaux (FRA)  rappelait l’applicabilité du droit européen - et donc l’engagement de la responsabilité des Etats-membres - dans le cas où ces centres seraient une étape transitoire dans l’attente d’un renvoi de la personne vers son pays d’origine ou tout autre pays dans lequel elle serait légalement admissible. Or, l’article 17 du règlement ne précise ni le cadre, ni l’objectif du recours à de tels centres. Les conditions de résidence ou de privation de liberté, la durée passée, la présence d’associations ou d’organisations internationales et les conditions d’accès aux droits ne sont pas explicitées. Par conséquent, les multiples possibilités d’interprétation du règlement laissent présager des situations insolvables, telles que l’éloignement de personnes ne pouvant retourner dans leur pays d’origine, ou encore d’étranger(ères) malades. Dans l’incertitude du droit applicable et des conditions “d’accueil”, il existe un risque réel que ces centres soient le lieu de traitements inhumains et dégradants, de violation du droit à la vie privée et familiale et constituent un maillon de refoulements à la chaîne.

 

L’élargissement des possibilités de recours à la coercition

Jusqu’à présent, le droit européen et la directive de 2008 privilégient le recours aux alternatives à la rétention des personnes étrangères, la rétention administrative étant subsidiaire et conditionnée à un certain nombre de critères. Ces alternatives - comme l’assignation à résidence - ne sont plus privilégiées mais simplement prévues par le règlement. Elles peuvent être envisagées à l’issue d’une rétention administrative, opérant de fait un véritable renversement du paradigme.

De plus, le règlement consacre et entérine le dévoiement de la rétention administrative. Les perspectives raisonnables d’éloignement et la condition de préparation du retour ne sont plus mentionnées pour un recours à l’enfermement, qui passe de 18 à 24 mois maximum. Sous des considérations sécuritaires, la rétention pourra s’étendre au-delà des deux ans, pour une durée qui n’est pas prévue par le texte mais qu’il reviendra aux juridictions compétentes de déterminer. L’allongement de la durée de rétention s’applique également aux mineurs, en méconnaissance du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

La fragilisation des garanties procédurales

En parallèle, les conditions d’accès aux droits des personnes frappées d’une mesure d’éloignement se fragilisent. Le bénéfice d’une assistance juridique et d’un conseil gratuits pour contester la mesure d’éloignement n’est plus garanti, notamment dans le cas où l’administration estimerait que le recours a peu de chances de prospérer ou s’il est considéré comme abusif. Le règlement remet également en question la suspensivité des recours ; non plus automatique, elle devra être demandée à un juge qui l’accordera s’il identifie un risque de violation du principe de non refoulement. Ces mesures éloignent toujours plus les justiciables de l’exercice effectif de leurs droits malgré des situations marquées par l’urgence, tout en participant à l’engorgement massif des juridictions administratives.

Les principaux enjeux de l’exécution des mesures d’éloignement restent “l’obstacle” de la souveraineté territoriale des pays de destination (pays d’origine ou hubs de retour) et de leur coopération avec les Etats-membres. Restant largement impuissante face à cet obstacle, il est à craindre que l’Union européenne se reporte - par le moyen de ce règlement retour - sur des mesures aussi inefficaces en termes d’éloignement que préjudiciables aux personnes exilées dans leur accès et exercice de leurs droits fondamentaux.

 

Lire la note préliminaire de plaidoyer publiée en avril 2025 par Forum réfugiés sur ce texte