Après une première réforme du concept de « pays tiers sûrs » dans le cadre du Pacte sur la migration et l’asile, et avant même son entrée en application, la Commission européenne propose une nouvelle réforme de cette notion qui pourrait mener à une déresponsabilisation majeure de l’Union européenne en matière d’asile.  

Le règlement sur la procédure d’asile (2024/1348), du Pacte sur la migration et l’asile, adopté en mai 2024 et applicable en juin 2026, reprend le concept de « pays tiers sûrs » déjà présent dans le précédent régime d’asile européen commun. Dans le cadre de l’application de ce concept, applicable à la frontière comme sur le territoire, les États membres peuvent rejeter une demande d’asile comme étant irrecevable sans examiner si la personne remplit les conditions pour obtenir une protection dans l’Union européenne (UE).

Le règlement 2024/1348 a cependant introduit plusieurs modifications aux règles relatives au concept, visant une applicabilité plus large et plus souple (voir notre article sur le sujet). Ces changements comprennent :

  • - L’élargissement des critères permettant la désignation d’un pays tiers comme sûr, permettant aux pays qui ne sont pas partis à la Convention de Genève d’être également désignés comme sûrs, à condition qu’ils puissent offrir une « protection efficace » ;
  • - Une référence explicite aux liens familiaux et au séjour dans le pays tiers comme indices possibles d’un lien (considérant 48) ;
  • - La possibilité de désigner un pays tiers comme sûr avec des exceptions pour certaines parties de son territoire ou des catégories de personnes clairement identifiables (considérant 46 et article 59.2) ;
  • - L’introduction d’une présomption de sécurité pour les pays tiers avec lesquels l’UE a conclu un accord en vertu de l’article 218 du traité sur le fonctionnement de l’UE (article 59.7) ; et
  • - L’introduction de la possibilité d’adopter des listes communes de « pays tiers sûrs » désignés au niveau de l’Union, sans exclure la possibilité pour les États membres de désigner des pays au niveau national (considérant 81 et articles 60, 63 et 64).

Par ailleurs, l’article 77 dudit règlement exige que la Commission réexamine le concept, et, le cas échéant, propose des modifications ciblées, au plus tard le 12 juin 2025, soit avant la date d’application. C’est dans ce contexte que la Commission européenne a publié, le 20 mai 2025, une proposition de règlement modifiant le règlement 2024/1348, accompagnée d’un document de travail expliquant les travaux préparatoires de la Commission et les options envisagées.

Les options sont les suivantes :

  1. Retirer le critère de connexion/de lien

Cette proposition permettrait aux États membres d’appliquer le concept de « pays tiers sûr » (mais ne les y obligerait pas) :

  • lorsqu’il existe un lien entre le demandeur et un « pays tiers sûr », tel que défini dans le droit national;
  • lorsque le demandeur a transité par un « pays tiers sûr » (transit n’étant pas défini et le pays tiers devant accepter de prendre la personne concernée); ou
  • en cas d’absence de connexion ou de transit, lorsqu’il existe un accord ou une entente avec un « pays tiers sûr » exigeant l’examen du bien-fondé des demandes de protection effective présentées par les demandeurs soumis à cet accord ou à cette entente, sans préjudice de la décision du pays tiers quant à savoir si la personne remplit les conditions pour obtenir cette protection.

La dernière option ne devrait pas s’appliquer aux mineurs non accompagnés, pour lesquels une connexion ou un transit serait toujours nécessaire.

Certains États membres auraient mis en garde contre le risque de litiges judiciaires et de mouvements secondaires vers les États membres où le concept n’est pas appliqué ou appliqué avec l’exigence de connexion. D’autres États membres auraient alors répondu que les articles 9 (restrictions à la liberté de circulation) et 10 (détention) de la directive sur l’accueil sont suffisants pour pallier ces risques.

  1. Retirer l’automaticité de l’effet suspensif du recours

La Commission propose de retirer l’effet suspensif automatique des recours contre les décisions d’irrecevabilité prises sur le fondement du concept de « pays tiers sûr », sans préjudice des recours contre les décisions de retour connexes lorsqu’il existe un risque de violation du principe de non-refoulement.

La Commission explique que « la suppression de l’effet suspensif automatique de l’appel pourrait contribuer à réduire les délais procéduraux dans l’application du concept et prévenir les abus d’appel par les demandeurs, tout en assurant la protection des droits fondamentaux du demandeur, en leur permettant de demander l’effet suspensif. » Les demandeurs pourraient demander le droit de rester, et les tribunaux pourraient également traiter ces questions d’office en vertu du droit national.

Le considérant 8 explique aussi que « l’exécution de la décision de retour correspondante doit être suspendue pendant le délai dans lequel la personne concernée peut exercer son droit à un recours effectif devant une juridiction de première instance et lorsque ce recours est formé, lorsqu’il y a risque de violation du principe de non-refoulement. »

Le HCR et les organisations de la société civile ont souligné que même lorsqu’une mesure de renvoi est automatiquement suspendue, cela ne garantit pas nécessairement un recours efficace contre le refus d’asile. Cela pourrait être particulièrement vrai lorsque les autorités chargées des appels relatifs aux décisions en matière d’asile et de renvoi sont différentes, et qu’il n’y a donc pas d’appel conjoint. Dans de tels cas, il peut arriver que l’appel concernant le retour soit rejeté – ce qui met fin à l’effet suspensif – et que le demandeur soit renvoyé alors que l’appel sur l’application du concept de « pays tiers sûr » est toujours en instance. De surcroît, la charge de travail des tribunaux deviendrait plus conséquente, car les personnes devront demander le droit de rester pendant l’appel.

  1. Insérer une clause de transparence

La clause de transparence ajoutée dans cette proposition obligerait les États membres à informer la Commission et les autres États avant de conclure des accords ou arrangements avec des pays tiers, mais il ne s’agit que d’une obligation d’information.

Il est à noter que la Commission ne propose pas de liste de l’UE de « pays tiers sûrs » (comme elle l’a fait pour les pays d’origine sûrs).

Ces mesures s’inscrivent dans la dynamique inquiétante constatée en Europe visant à externaliser sa responsabilité internationale – alors que les pays tiers accueillent déjà largement plus de réfugiés que la plupart des États membres de l’UE. Les parlementaires européens et les États membres peuvent, cependant, encore rejeter cette proposition qui porterait une atteinte sans précédent au droit d’asile. Les États pourront aussi décider de ne pas appliquer le concept : c’est la position française, la Constitution ne permettant pas de renvoyer un demandeur d’asile sans avoir examiné sa demande.