Dans l’affaire M.K et autres c.Pologne, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a condamné l’Etat polonais pour violation de l’article 3 (interdiction de la torture ou de traitement inhumain ou dégradant), de l’article 4 du Protocole n°4 (interdiction d’expulsion collective), et de l’article 13 (droit à un recours effectif) en lien avec l’article 3 et 4 du Protocole n°4. L’affaire concerne trois situations relatives à des ressortissants russes d’origine tchétchène qui se sont présentés à plusieurs reprises entre 2016 et 2017 à Brest-Terespol, point de passage frontalier avec la Biélorussie, où ils se sont vus refuser l’accès à la procédure d’asile malgré leurs demandes répétées de déposer une demande de protection internationale. Selon la décision de la CEDH, les garde-frontières ont continuellement refoulé les personnes vers la Biélorussie sans examen de leur demande. De plus, le gouvernement a ignoré les mesures d’intérim émises par la Cour européenne pour empêcher l’éloignement des demandeurs malgré le risque de refoulement et de traitement contraire à la Convention. La Cour souligne que l’Etat polonais a démontré une pratique constante de renvoi des personnes vers la Biélorusse qui relève de l’expulsion collective d’étrangers. A l’occasion de cette condamnation, le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a rappelé les obligations européennes et internationales auxquelles la Pologne a souscrit, et qui doit à ce titre garantir un accès au territoire et à la procédure d’asile pour toute personne qui souhaite solliciter une protection internationale.

Cette condamnation reflète une situation critique dans cet Etat membre de l’Union européenne (UE) qui refoule régulièrement des personnes exprimant le souhait de déposer une demande d’asile. Selon Eurostat, la Pologne a enregistré 2 765 primo-demandeurs d’asile en 2019, un chiffre en légère baisse par rapport à 2018 (2 405) et 2017 (3 005). Sur ces dix dernières années, deux augmentations notables sont à relever : en 2013 (13 970 primo-demandeurs) et en 2015 (10 255). Les principaux pays d’origine des demandeurs d’asile sont la Russie, l’Ukraine, le Tadjikistan, l’Irak, l’Arménie et la Turquie. En 2019, le taux de protection en première instance était de 13,1% et de 0,7% en appel. La ville de Brest-Terespol est historiquement le principal point d’entrée des demandeurs d’asile.

Selon le rapport du projet européen AIDA sur la Pologne, des cas de refoulements à la frontière ont été observés dès 2012. En 2019, 4 378 personnes se sont vues refuser l’entrée au point de passage frontalier de Terespol, et 81 personnes ont pu déposer un recours contre le refus d’entrée. Des visites et un suivi régulier de différentes organisations et institutions (Legal Intervention Association, Helsinki Foundation for Human Rights, the Commissioner for Human Rights, Amnesty International, et Human Rights Watch) confirment des irrégularités récurrentes sur l’accès à la procédure d’asile à la frontière. Les ONG, le HCR et le Défenseur des enfants ont un accès restreint voire inexistant aux demandeurs d’asile et aucun interprète n’est présent.

Cette violation du droit d’asile fait également écho à d’autres dysfonctionnements du système d’asile dans le pays. Le rapport AIDA relève en outre que l’accès à une assistance légale est très limité depuis 2016 à cause d’un manque de financement pour les associations et la suspension du Fonds européen Asile, Migration et Intégration (FAMI). De plus, les bulletins d’informations sur l’asile et la migration de l’Agence européenne pour les droits fondamentaux (FRA) soulignent des lacunes importantes dans les mécanismes d’identification des demandeurs d’asile vulnérables. En 2019, le Comité contre la torture des Nations unies a relevé que de nombreux demandeurs d’asile et migrants victimes de violence sont détenus à cause des lacunes du système d’identification et d’orientation. Il a également exprimé son inquiétude concernant les restrictions d’accès à l’asile aux points de passage frontalier y compris pour les personnes vulnérables.

La politique du gouvernement polonais à l’encontre de l’asile a fait l’objet d’une autre condamnation dans le cadre du mécanisme de relocalisation des demandeurs d’asile depuis la Grèce et l’Italie. La Cour de justice de l’Union européenne a condamné le 2 avril dernier, la Pologne, la Hongrie et la République tchèque pour avoir refusé d’accueillir des demandeurs d’asile. La Pologne s’était initialement engagée à accueillir 100 demandeurs mais n’avais pas procédé à ces relocalisation ni pris d’autre engagement. Tout comme la Hongrie, la Pologne avait motivé leur refus en invoquant leurs responsabilités en matière de maintien de l’ordre public et de sauvegarde de la sécurité intérieure (voir notre article de mai 2020). Plus globalement, les institutions européennes s’inquiètent particulièrement des dernières évolutions du respect des droits humains en Pologne. Les députés européens ont notamment exprimé leur vive inquiétude sur la détérioration continue de la situation dans le pays, appuyés par des rapports alarmants de l’ONU, de l’OSCE et du Conseil de l’Europe.