Le bilan du nombre de morts et disparus sur les routes migratoires vers l’Europe en 2020 est alarmant. Malgré les mesures de confinement et les restrictions liées à la crise sanitaire, la baisse observée sur les arrivées n’est pas aussi importante en matière de mortalité sur les parcours migratoires vers l’Europe. Selon les données en ligne du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), 1 401 personnes sont décédées (562) ou disparues (839) en mer Méditerranée, dont 955 sur la route de la Méditerranée centrale, 105 en Méditerranée orientale, et 341 en Méditerranée occidentale. Tous les mois de l’année (excepté mars, avril et mai), ont enregistré plus de 80 morts ou disparus avec des pics à 248 et 223 respectivement en septembre et en novembre 2020. Le nombre total a même augmenté par rapport à 2019, année où 1 335 morts et disparus avaient été enregistrés, notamment sur la route de la Méditerranée orientale (de 71 à 105) et centrale (de 754 à 955). A ces chiffres s’ajoutent les décès et disparus sur la route de l’Afrique de l’Ouest vers les îles Canaries qui a vu les arrivées augmenter de manière exponentielle au cours de l’année 2020. Le HCR a enregistré, au 31 décembre 2020, 480 décès et disparus sur cette route pour 23 023 arrivées maritimes. Au total, 1 881 auraient ainsi péris ou disparus en tentant de rejoindre le territoire européen. D’autres statistiques sont également disponibles sur la base de données Missing Migrants coordonnée par l’Organisation internationale pour la migration (OIM). Selon cette source, 1 426 personnes sont décédées ou disparues en Méditerranée, 87 sur le continent européen, 849 sur la route de l’Atlantique vers les îles Canaries. En 2021, les tragédies en mer se poursuivent, avec un nouveau naufrage déploré au mois de mars au large de la Tunisie dans lequel 39 personnes ont péri. Le HCR a déjà enregistré 315 morts sur la route de la Méditerranée pour les trois premiers mois de l’année, et 22 morts sur la route des Canaries en janvier 2021.

Ces chiffres rappellent les lacunes de la politique européenne en matière de secours et de sauvetage. La Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a récemment alerté sur les progrès très limités des États membres en la matière. Étudiant les mesures mises en place entre juillet 2019 et décembre 2020, le rapport dresse un bilan inquiétant de la mise en œuvre des recommandations en matière de sauvetage des migrants en mer publiées par la Commissaire en 2019. Les naufrages se sont poursuivis de manière fréquente et les capacités de sauvetage n’ont pas été renforcées par les États le long de la Méditerranée centrale. Le rapport souligne qu’au contraire, en période de pandémie de COVID-19, l’Italie et Malte ont pris des mesures restrictives qui ont réduit les capacités de recherche et de secours. L’opération EUNAVFOR MED IRINI, successeur de l’Opération Sophia mise en place en 2020, a pour périmètre d’action la partie orientale de la zone de recherche et de secours libyenne et les hautes mers entre la Grèce et l’Egypte, limitant ainsi les possibilités de rencontrer des migrants en situation de détresse en mer. Par ailleurs, toute prolongation de mandat est conditionnée à l’absence d’appel d’air qui serait causé par la dite opération, une conditionnalité peu pertinente dès lors que des vies humaines sont en jeu et que ledit « appel d’air » n’a jamais été démontré. De plus, malgré les multiples rapports et appels des organisations internationales et des associations, les débarquements en Libye se sont poursuivis avec 11 891 personnes débarquées, 34% de plus qu’en 2019 selon le rapport. Des cas de refoulements sont également dénoncés et documentés comme le rappellent les allégations actuellement portées à l’encontre de Frontex (voir notre article de janvier 2021). La Commissaire a ainsi de nouveau appelé les États membres à agir pour sauver des vies, « il s’agit là d’une question de vie ou de mort - mais aussi de la crédibilité de l’engagement des pays européens à l’égard des droits de l’homme » a-t-elle conclu.

Dans le cadre du Pacte européen sur l’asile et la migration, la Commission européenne a publié un document de recommandation relatif aux opérations de secours de sauvetage dans lequel elle rappelle la nécessité d’éviter la criminalisation de ceux qui fournissent une aide humanitaire aux personnes en détresse en mer. La Commission prévoit également la mise en place d’un groupe de contact interdisciplinaire afin de faciliter la coordination entre États membre et élaborer des bonnes pratiques découlant des opérations de recherche et de sauvetage. La première réunion de ce groupe s’est tenue le 22 mars 2021.

La mortalité sur les parcours migratoires doit également être considérée en amont des traversées maritimes vers l’Europe. Aux décès et disparitions en mer doivent s’ajouter ceux qui ont lieu dans les pays d’origine et de transit. Un rapport du HCR et du Mixed Migration Center de juillet 2020 souligne de nombreuses disparitions lors des traversées de désert, de la captivité et la détention en Libye, et des assassinats. 1 750 décès sur les portions terrestres de la route de la Méditerranée centrale auraient eu lieu entre 2018 et 2019. La crise sanitaire et la fermeture des frontières ont également pu inciter les migrants à emprunter des itinéraires plus dangereux avec des risques accrus d’abus, d’exploitation et de traite des êtres humains.

Les chiffres communiqués dans cet article sont des estimations. Comme le souligne le HCR et le projet Missing Migrant, elles sont issues d’une compilation de données de plusieurs sources d’informations. La qualité et la fiabilité des données peuvent variées et les statistiques sont donc amenées à évoluer selon les informations collectées sur le terrain.