L’évolution du système d’asile grec en 2020-2021 est marquée par un double discours de l’État notamment en matière de gestion des arrivées, d’accueil des demandeurs d’asile et de politique d’intégration des bénéficiaires d’une protection internationale.

Le gouvernement grec se félicite en premier lieu de sa politique de forte diminution des arrivées irrégulières en 2020, une communication marquée par un déni total des allégations de refoulements aux frontières terrestres et maritimes, voire depuis des locaux de l’État tels que « Megala Therma » à Lesvos, où les primo-arrivants sont privés de leur liberté pendant plus d’un mois sans enregistrement. Le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a notamment appelé les autorités grecques à enquêter sur les refoulements maritimes et terrestres avec la Turquie alors que les allégations ont augmenté depuis mars 2020. De plus, le gouvernement a renouvelé pour la cinquième année consécutive l’application exceptionnelle d’une procédure « rapide » à la frontière, incluant des dérogations au droit d’asile réservées aux cas d’afflux « massifs ».

Bien que le gouvernement renouvelle ses engagements pour renforcer la capacité d’accueil des demandeurs d’asile, une politique de restriction est menée au niveau national. Depuis 2020, le Ministère des migrations et de l’asile met en œuvre un plan de « décongestion » du dispositif d’accueil, par la fermeture de plus de 5 500 de places d’hébergement en hôtels offertes par le programme Filoxenia et de plus de 5 000 places suite à la clôture des centres de Kara Tepe à Lesvos et de Skaramangas et Volvi en péninsule. L’objectif est d’instaurer un régime de « centres fermés et contrôlés ». Les effets de cette transformation sont fortement ressentis sur les îles, où les conditions dans les centres d’accueil et d’identification (« hotspots ») demeurent inhumaines. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) traite plus d’une dizaine de dossiers sur les conditions des hotspots de Lesvos, Chios, Samos et Kos. L’incendie du camp de Moria en septembre 2020 a laissé des milliers de réfugiés sans abri, jusqu’à la construction précipitée du camp temporaire de Mavrovouni, dit « Moria 2.0 ». Dès septembre 2020, la CEDH avait prévenu par le biais de mesures provisoires que les conditions dans le nouveau hotspot n’étaient pas conformes aux droits fondamentaux. Toute alternative à l’hébergement dans les hotspots a été supprimée en trois étapes : interdiction de financement d’appartements sur les îles dans le cadre du programme Estia financé par la Commission européenne ; fermeture des centres Pikpa à Lesvos et Leros (en violation de procédures de mesures provisoires en cours auprès de la Cour européenne des droits de l’Homme) ; fermeture du centre municipal de Kara Tepe à Lesvos. En parallèle, au moins quatre projets de relocalisation de demandeurs d’asile et de réfugiés vulnérables vers d’autres États membres de l’UE volontaires ont été entamés en 2020. À la fin avril 2021, 3 859 relocalisations avaient été organisées vers une dizaine d’États membres. Cependant le manque de clarté sur les procédures dans ces différents programmes est un enjeu majeur.

De plus, depuis 2020, l’État accentue la pression sur les bénéficiaires d’une protection internationale pour qu’ils soient immédiatement indépendants et autonomes. La « période de grâce » dans le système d’accueil pour les réfugiés a été réduite de six mois à 30 jours, sans aucune mesure afin de garantir la transition vers une intégration durable et réussie. L’exercice des droits sociaux demeure illusoire en l’absence même des documents requis pour leur mise en œuvre, compte tenu des retards de plusieurs mois – voire plus d’un an – pour la délivrance des titres de séjour. Dans le cadre de la pandémie de Covid-19, des centaines de bénéficiaires d’une protection se sont retrouvés sans abri à Athènes. Certains ont été transférés lors d’opérations policières dans des camps de la région, voire dans des centres de détention. En tant que « résidents non-enregistrés », ils vivent dans la précarité, sans accès aux conditions matérielles offertes aux demandeurs d’asile. Le seul programme d’intégration, Helios, offre une aide financière temporaire à ceux qui parviennent à obtenir un contrat de bail. Or, plus de 5 324 bénéficiaires ont cessé de recevoir l’allocation. Ces personnes se retrouvent de nouveau sans abri.

Tout en insistant sur l’obligation des réfugiés de s’intégrer rapidement dans la société grecque, l’État a délivré plus de 13 000 titres de voyage aux titulaires de protection internationale depuis l’été de 2020, leur permettant de quitter le pays pour une période de 90 jours. Le ministre des Migrations et de l’Asile a confirmé en avril 2021 le départ de réfugiés en possession de titres de voyage vers l’Europe, sans toutefois préciser l’obligation de la Grèce de les réadmettre. Compte tenu des conditions auxquelles font face les réfugiés en Grèce, les réadmissions de titulaires de protection soulèvent des questions importantes en matière de droits fondamentaux. Dix ans après l’arrêt M.S.S. de la CEDH suspendant les transferts « Dublin » vers la Grèce, le renvoi de réfugiés statutaires vers la Grèce devient un enjeu majeur du régime d’asile européen commun (RAEC). Au moins trois cours supérieures allemandes (Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Basse-Saxe, Rhénanie-Palatinat) ont statué contre les renvois de titulaires de protection vers la Grèce en 2021. Le Conseil d’État néerlandais revoit également sa propre jurisprudence sur la question. Quant à Strasbourg, la CEDH instruit deux requêtes, Darwesh et Alaa Assad, liées au renvoi de réfugiés statutaires des Pays-Bas vers la Grèce.

Minos Mouzourakis, responsable juridique et plaidoyer pour l’organisation grecque Refugee Support Aegean (RSA)

Extrait de L’asile en France et en Europe – État des lieux 2021

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