En tant qu'organisations de la société civile et de la diaspora afghane, nous sommes profondément préoccupées par l'évolution de la situation en Afghanistan et le traitement réservé aux demandeurs d'asile et réfugiés afghans en Europe.

 Un an après la prise de pouvoir par les Talibans, le pays se trouve dans un état d’anarchie sans aucune constitution. La situation globale en matière de sécurité, d'économie et de droits humains se dégrade, tandis que la souffrance de la population s'accroît. L’intensité générale du conflit a diminué par rapport à la période précédant le mois d’août 2021, puisque les Talibans étaient impliqués dans le conflit et ont pris le pouvoir, cependant le pays est loin d'être stable. Les assassinats ciblés et les attaques systématiques contre les minorités religieuses et ethniques, en particulier envers la communauté hazara, les meurtres par vengeance commis par les Talibans contre d'anciens responsables gouvernementaux et d'anciennes forces militaires ont considérablement augmenté. La liberté d'expression et de mouvement, principalement des femmes et des filles, a été sévèrement restreinte. D'autres droits sont violés par les mesures prises par les Talibans, à l’image de l'interdiction de l'enseignement secondaire pour les filles. De nombreuses violations des droits de l'homme et de nombreux abus ne sont pas signalés en l'absence d'une société civile dynamique et par crainte de persécutions des Talibans.

La Mission d'assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA) a récemment publié un rapport alarmant sur la situation sécuritaire dans le pays et les violations généralisées des droits de l'homme. Par ailleurs, Amnesty International a fait état d'une répression et d'une torture généralisées à l’égard des femmes militantes.

Comment l'Europe a-t-elle réagi depuis août 2021 ?

1. L'asile en Europe

Un an après la prise de pouvoir par les Talibans, et bien que la majorité des réfugiés afghans soient accueillis dans les pays voisins, les efforts des gouvernements européens pour garantir une protection en Europe se sont révélés insuffisants et sont arrivés trop tard. À l’inverse, des mesures ont été prises pour empêcher les Afghans d'arriver en Europe et restreindre l’accès à la protection des demandeurs d'asile afghans, et ce malgré des besoins de protection accrus. Les demandeurs d'asile afghans sont fortement impactés par la violence aux frontières, les renvois sommaires et l’application de la clause relative aux « pays tiers sûrs ». L'initiative « PRAB » du Conseil danois pour les réfugiés (DRC) a recensé 1 911 cas de refoulement ; plus de la moitié d'entre eux ayant été signalés par des demandeurs d'asile afghans. Des obstacles persistent également pour ceux qui parviennent à accéder au territoire et demander l'asile, car plusieurs États membres (EM) ont suspendu l'examen des demandes d'asile afghanes en août 2021. Le nombre de dossiers de demandeurs d’asile afghans en attente de traitement a ainsi considérablement augmenté, avoisinant les 100 000 en avril selon les données d'Eurostat. Le taux global de reconnaissance en première instance des demandeurs d'asile afghans ne cesse de chuter en Europe, passant de 73 % en avril à 53 % en mai, selon les statistiques de l'Agence de l’Union européenne pour l'asile (AUEA), le taux de reconnaissance variant fortement d'un EM à un autre, sans aucune raison valable au regard de la situation des personnes.

Suite aux évènements survenus en Afghanistan et à la situation critique dans le pays, le HCR a exhorté tous les États à ne pas prendre de décisions négatives et à suspendre les éloignements vers l'Afghanistan en raison de la détérioration de la situation dans le pays. Pourtant, plusieurs pays européens agissent à l'encontre des recommandations du HCR en rendant des décisions négatives pour les demandeurs d'asile afghans sous prétexte que le niveau de violence a diminué par rapport à avant, tout en ignorant la grave crise humanitaire, les nombreuses allégations de persécution, de torture et de violations généralisées des droits de l'homme.

Ces nombreuses décisions de rejet causent de nouvelles souffrances aux demandeurs d’asile afghans, dont la plupart sont vulnérables, notamment les enfants et les adolescents non accompagnés, car elles les empêchent d'accéder aux services essentiels.

La réponse de l'UE et de ses États membres au déplacement de population en provenance d'Ukraine est louable et saluée. Toutefois, l'UE et ses EM ne devraient pas fermer les yeux sur la situation en Afghanistan et sur les carences persistantes du système d’asile et d’intégration de l’UE. Les Afghans qui arrivent en Europe ont besoin de protection et de solidarité en cette période de crise et de difficultés, et des mesures doivent être prises dès maintenant pour empêcher la mise en place d'un système de protection des réfugiés à deux vitesses.

2. Des voies de protection légales et sûres vers l’Europe

Peu après l'effondrement du régime en Afghanistan, l'UE et ses EM se sont engagés à poursuivre l'évacuation de leur personnel local et des Afghans en danger. Néanmoins, trop peu d'efforts ont été déployés depuis pour les évacuer vers l'Europe. À quelques exceptions près, la plupart des EM ont désormais mis fin à l'évacuation de leur personnel local et des Afghans en danger. Alors que les EM de l'UE s'étaient engagés à accueillir 36 000 Afghans en danger dans le cadre d'admissions humanitaires entre 2021 et 2022 - en avril 2022, seules 28 700 de ces places avaient été pourvues, la plupart en Allemagne, principalement par le biais d'évacuations à la suite des événements d'août 2021, notamment d'anciens membres du personnel local.

Des milliers de collaborateurs locaux et d'Afghans sont en danger, bloqués en Afghanistan ou bien vivent dans une situation précaire dans les pays voisins. Dans les pays européens où les programmes d'évacuation et d'admission humanitaire se poursuivent, le processus d'évacuation est très lent et peu transparent, de nombreux obstacles administratifs subsistent pour que les Afghans puissent accéder à ces voies et plusieurs programmes ont été promis mais ne fonctionnent pas encore à grande échelle. Par ailleurs, les Talibans ne sont pas toujours coopératifs lorsqu'il s'agit d'autoriser les personnes à franchir la frontière. Récemment, Der Spiegel a ainsi rapporté que les Talibans bloquent les tentatives du gouvernement allemand d’évacuer leurs anciens employés locaux et d'autres personnes en danger.

Nous appelons les pays européens à poursuivre l'évacuation de leur personnel local et des Afghans en danger de manière coordonnée et sûre. Il est notamment essentiel que l'UE reste collectivement ferme sur la garantie que les Afghans en danger puissent quitter le pays, qui est l'un des cinq engagements pris dans le cadre des négociations avec les Talibans. Après le mois d’août 2021, de nombreux Afghans en danger, tels que des journalistes et des militants de la société civile, ont immédiatement fui vers les pays voisins, principalement l'Iran et le Pakistan. Leur situation ne doit pas être oubliée et doit être prise en compte dans le cadre des programmes d'admission humanitaires et de réinstallation en Europe.

Un an s'est écoulé, et pourtant l'Europe n'a pas réussi à apporter une réponse globale à la crise en Afghanistan. Peu a été fait pour développer des voies d’accès légales et sûres pour les Afghans souhaitant venir en Europe, notamment en facilitant la réunification familiale, en mettant en place des programmes de parrainage communautaire permettant aux personnes d'accueillir des membres de leur famille élargie, ou encore en ouvrant des couloirs universitaires et des programmes de mobilité de la main-d’oeuvre, en particulier pour les femmes dont les formations ont été interrompues depuis août 2021.

Recommandations des organisations de la société civile à l'UE et à ses États membres :

  • Les pays européens devraient garantir un accès rapide et équitable à la procédure d’asile à ceux qui arrivent en Europe par leurs propres moyens. Les demandes d'asile afghanes et les demandes de réexamen devraient être examinées à la lumière des rapports les plus récents disponibles sur la situation dans le pays et des recommandations du HCR.
  • Les pays européens devraient respecter leurs obligations en matière de droits de l'homme, notamment celles relatives à la protection des réfugiés, et veiller à ce que les demandeurs d'asile, y compris les Afghans, bénéficient de leurs droits dans les zones frontalières.
  • La Commission européenne devrait se pencher sur les cas des EM ayant un faible taux de protection des demandeurs d'asile afghans afin de s'assurer que les décisions prises sont conformes au droit européen et international des réfugiés.
  • Aucun demandeur d'asile afghan ne devrait être laissé dans un flou juridique et contraint à vivre en situation irrégulière. Il est nécessaire de reconnaitre que les retours durables en Afghanistan sont actuellement complètement impossibles. Lorsqu'aucune protection internationale n'est accordée, les ÉM devraient octroyer un accès temporaire au territoire afin d'éviter que les demandeurs d'asile afghans ne soient laissés dans un flou juridique et contraints à vivre en situation irrégulière.
  • Les pays européens devraient redoubler d’efforts pour réduire le nombre de dossiers de demandeurs d’asile afghans en attente de traitement.
  • Les pays européens doivent développer et faciliter les admissions humanitaires pour les Afghans en danger et les membres de leur famille élargie.
  • Les pays européens devraient accélérer les procédures de réunification familiale des réfugiés afghans en augmentant les capacités des consulats en Iran et au Pakistan.
  • Les pays européens devraient s'engager à proposer davantage de places de réinstallation pour les Afghans qui se trouvent dans les États voisins, notamment dans les pays d'Asie centrale. Conformément aux recommandations du HCR appelant l'UE à réinstaller 42 000 Afghans au cours des cinq prochaines années, les pays européens devraient collectivement s'engager à accueillir 8 500 réfugiés afghans en 2023 via cette voie.

Signataires :
Voir la liste complète des signataires et la version originale de la déclaration en anglais sur le site web du Conseil européen pour les réfugiés et les exilés (ECRE).