L’année 2024 marque un tournant avec un nombre record de femmes demandant et obtenant une protection en France, révélant une hausse alarmante des violences sexistes et sexuelles dans les pays d’origine. Alors que la Cour de justice de l’Union européenne a élargi les conditions d’accès à l’asile pour les femmes, la CNDA a consacré une application plutôt restrictive de cette évolution jurisprudentielle.

En 2024 la part des femmes ayant enregistré une demande d’asile auprès des préfectures françaises a atteint un niveau record d’après les données de l’agence européenne de statistique Eurostat : alors qu’elle était autour d’un tiers les années précédente, elle a atteint 44% l’an dernier. À l’OFPRA, qui n’enregistre que les demandes relevant de la responsabilité de la France (et donc pas celles placées sous procédure Dublin), elles étaient majoritaires (60,3%). Les instances en charge de l’asile ont décidé de protéger plus de la moitié d’entre elles, en raison principalement de violences sexistes et sexuelles liées à leur genre ou à leur sexe : violences conjugales, risque de mutilations sexuelles, fuite d’un mariage forcé, exploitation sexuelle etc.

Les textes régissant la protection internationale ne reconnaissent pas le fait d’être une femme ou identifiée comme femme comme un motif de protection en soi. La directive européenne dite Qualification, dont est notamment issu le droit à la protection subsidiaire, prévoit de faire bénéficier indistinctement hommes et femmes de celle-ci. Quant à la convention de Genève, qui fonde le statut de réfugié, elle ne compte pas au nombre des motifs d’octroi celui d’appartenance au sexe ou au genre féminin. Parmi les motifs dits « conventionnels », celui du groupe social a toutefois permis au juge français de l’asile de protéger les femmes mais en ce qu’elles relevaient par ailleurs d’une caractéristique additionnelle : groupe social des femmes exposées à un risque d’excision, groupe social des femmes homosexuelles ou encore groupe social des femmes victimes de traite des êtres humains. Il appartient alors à ces femmes de démontrer les persécutions subies pour ces motifs.

Début 2024, la CJUE a largement étendu la faculté pour les femmes de se voir accorder une protection conventionnelle. Dans un arrêt WS, la cour européenne a jugé que les femmes, « dans leur ensemble », sont susceptibles de remplir les conditions qu’impose la directive Qualification pour qu’un groupe social, au sens de la convention de Genève, soit identifié. Le seul fait, selon les juges européens, d’être exposées à des violences en tant que femmes peut dès lors suffire. Ultérieurement, par deux arrêts AH et FN, la CJUE a reconnu la faculté aux États membres de protéger les femmes afghanes en tant que telles, sans qu’elles aient par ailleurs à justifier de risques de persécutions en cas de retour dans leur pays.

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Depuis l’an dernier, plusieurs affaires ont donné à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) l’occasion de préciser sa position à l’égard de cette jurisprudence européenne relative au besoin de protection spécifique des femmes. Réunie en grande formation en juillet dernier, la Cour a jugé que seules les femmes afghanes, dès lors qu’elles « sont, dans leur ensemble, perçues d’une manière différente par la société afghane », constituent un groupe social. La formation a cependant refusé d’étendre cette solution aux femmes albanaises et mexicaines, s’appuyant sur les mesures adoptées par l’Albanie et le Mexique en faveur des femmes, sans tenir compte de facteurs aussi essentiels que celui de l’efficacité de ces mesures et celle de l’effectivité des violences subies dans ces pays par les femmes. Le 3 avril 2025, la grande formation a affirmé que les femmes iraniennes peuvent elles aussi être considérées comme appartenant à un groupe social. Les juges exigent toutefois des demandeuses d’asile iraniennes, à la différence des demandeuses afghanes, qu’elles démontrent être personnellement persécutées en raison de leur genre. Dans une décision du même jour, la formation a en revanche exclu que les femmes pakistanaises puissent être considérées, dans leur ensemble, comme appartenant à un groupe social, et ce, malgré les violences sexistes et sexuelles dont elles font encore trop souvent l’objet. On peut donc regretter que la CNDA ait fait le choix d’une application restrictive de la jurisprudence européenne et n’ait pas adopté une position plus extensive comme ont pu le faire d’autres États membres, tels que l’Espagne ou la Belgique.

La CNDA semble néanmoins veiller, lorsque les critères pour l’octroi d’une protection conventionnelle ne sont pas remplis, à ce que les femmes craignant pour leur vie ou leur sécurité puissent bénéficier a minima de la protection subsidiaire. Cette vigilance avait été préconisée par la CJUE dans son arrêt WS. Elle conduit les juges de l’asile à tenir compte, dans sa globalité, de la situation personnelle des demandeuses d’asile, identifiant les facteurs de vulnérabilité -souvent propres aux femmes- et envisageant les risques qu’elles encourraient en cas de retour dans leur pays. Cette appréciation a ainsi pu amener la Cour à accorder la protection subsidiaire à des requérantes exposées à un risque réel d’être tuées ou de subir des violences sexistes en invoquant leur isolement, les traumatismes engendrés par les violences subies ou encore leur jeune âge.