La loi du 10 septembre 2018 a introduit une nouvelle obligation pour les demandeurs d’asile qui souhaitent par ailleurs solliciter une admission au séjour à un autre titre : cette demande de titre de séjour doit être formulée dans les deux mois qui suivent l’enregistrement de leur demande d’asile, ce délai étant porté à trois mois pour les demandes de titre de séjour pour soins. Si la demande de titre de séjour est déposée au-delà de ces délais, elle peut être considérée comme irrecevable et donc rejetée sans examen au fond. Cette disposition, qui s’applique pour les demandes d’asile enregistrées après le 1er mars 2019, soulève plusieurs enjeux.

Concernant le délai, il ne concerne que les personnes dont la demande relève de la responsabilité de la France. A défaut de dispositions spécifiques, les demandeurs d’asile sous procédure Dublin devraient donc pouvoir déposer une demande de titre de séjour sans contrainte de délai tant que leur demande n’a pas été « éteinte ». En pratique, certaines préfectures refusent pourtant d’enregistrer les demandes de titres de séjour pour les « Dublinés », estimant que la nouvelle disposition restreint la possibilité de formuler une demande de titre de séjour aux seuls demandeurs d’asile relevant de la responsabilité de la France.

L’exigence de délai est marquée par certaines exceptions. Le demandeur d’asile peut notamment faire état de « circonstances nouvelles » qui n’étaient pas connues au moment de la demande comme la découverte d’une nouvelle pathologie justifiant une demande tardive de titre de séjour pour soins. L’appréciation du caractère « nouveau » repose sur l’appréciation du préfet, très variable en pratique et qui ne fait pas encore l’objet d’un encadrement précis par la jurisprudence administrative. Quid par exemple d’une maladie qui n’est pas nouvelle mais qui est découverte par le demandeur d’asile au-delà du délai légal parce qu’il n’avait pas accès précédemment aux dispositifs pertinents pour assurer sa détection notamment en raison de la mise en place du délai de carence pour l’accès à l’assurance maladie ? Plus généralement, l’impossibilité pour de nombreux demandeurs d’asile de consulter un médecin pendant les trois mois du délai de carence constitue un obstacle majeur au dépôt d’une demande de titre de séjour pour soins, qui suppose l’établissement d’un certificat médical qui doit être envoyé à l’OFII…dans ce même délai de trois mois !

L’articulation de cette exigence de délai avec d’autres dispositions légales pose par ailleurs question. Dans certaines hypothèses, un demandeur d’asile qui sollicite une demande de titre de séjour pour soin au-delà du délai de trois mois pourrait ainsi voir sa demande rejetée, alors qu’il est par ailleurs prévu qu’un étranger qui remplit les conditions pour obtenir ce titre ne peut être éloigné du territoire. La loi créée ainsi, de façon inédite, une situation où un étranger ne serait ni régularisable ni éloignable et donc contraint de demeurer sur le territoire français sans titre de séjour et donc sans les droits attachés au séjour régulier.

La mise en œuvre pratique de cette disposition, précisée par une instruction de février 2019 dans laquelle le ministre de l’Intérieur a apporté quelques précisions aux préfectures sur la façon dont ces dispositions doivent être appliquées, n’est pas  non plus sans poser de difficultés. En pratique, les adaptations et parcours proposés sont variables selon les préfectures. Par ailleurs, il n’est pas nécessaire de justifier de son état civil au moment de la demande, mais cette démarche devra intervenir dès la fin de la demande d’asile pour l’établissement d’un récépissé ou du titre de séjour. Mais cette démarche ne peut cependant pas être anticipée pendant la phase de demande d’asile, un rapprochement avec les autorités consulaires de son pays d’origine n’étant pas possible à ce stade.

Au regard de sa complexité et des enjeux majeurs qui l’entourent, cette démarche de demande de titre de séjour concomitante à la demande d’asile nécessite un accompagnement spécifique, mais cet aspect n’a fait l’objet d’aucune directives ou moyens spécifiques. En pratique, les personnes sont accompagnées à ce stade par les dispositifs du système d’asile qui se retrouvent donc sollicitées sur ces aspects pourtant distincts du droit d’asile et ne figurant pas toujours clairement dans leurs missions. En pratique, la demande concomitante devient une étape à part entière du parcours d’asile, qui nécessite un temps d’accompagnement important, une vigilance particulière sur les délais et une expertise sur une matière nouvelle et complexe (le droit au séjour) tant au regard du cadre légal que de son application par les préfectures et les juridictions administratives.