Le rapport publié par les cinq associations assurant l’aide à l’exercice des droits dans les centre de rétention administrative (CRA) – Assfam groupe SOS, Forum réfugiés-Cosi, France terre d’asile, La Cimade, Solidarité Mayotte - révèle que le nombre de personnes enfermées dans ces lieux a largement diminué en 2020, passant de 53 273 personnes retenues en 2019 contre 27 917 personnes cet année (-48%), dont plus de la moitié en outre-mer. En moyenne, elles ont été retenues 16,7 jours en 2020. Bien que ce chiffre soit stable par rapport à 2019, il varie en fonction du lieu d’enfermement et du pays d’origine de la personne retenue. En effet, au CRA d’Hendaye, les personnes étaient enfermées 25,6 jours en moyenne contre 9,1 jours en moyenne pour le CRA de Bordeaux. Le taux de personnes effectivement éloignées depuis la métropole est passé de 49,4% en 2019 à 40,4% en 2020. Selon les nationalités, le pourcentage de personnes éloignées varie fortement. 77,1% de personnes de nationalité roumaine ont pu être éloignées contre 3,8 % des personnes de nationalité algérienne, les plus représentés en CRA (1916 ressortissants algériens ont été enfermés en 2020) devant les Albanais (1 424), les Tunisiens (1 126), les Marocains (1 017) et les Roumains (799).

La diminution de ces chiffres s’explique par les effets de la crise sanitaire. En effet, d’une part l’éloignement a été rendu difficile voire impossible en raison de la fermeture des frontières de nombreux pays et, d’autre part, une partie des centres de rétention ont fermé leurs portes pendant le confinement du printemps 2020.

Cette fermeture s’imposait au regard de la difficulté voire à l’impossibilité de mettre en place les gestes barrières dans certains centres pendant le premier confinement. Forum réfugiés-Cosi avait d’ailleurs demandé la suspension des placements en rétention. À cette période, dans les centres restés ouverts, aucun masque n’était distribué aux retenus et dans certains cas aux professionnels. La distanciation sociale était impossible, les personnes retenues étant plusieurs par chambre avec des espaces de vie collectifs. Ces conditions de rétention ont mis en danger la santé des personnes retenues et de nombreux clusters se sont déclarés au sein des CRA. Pour ces raisons, le Défenseur des droits et la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté ainsi que le Président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme ont appelé à la fermeture provisoire de tous les centres de rétention à défaut d’« aucune autre mesure raisonnable […] possible ».

Passé le premier confinement, l’ensemble des CRA a réouvert et des mesures sanitaires se sont mises en place avec notamment une seule personne par chambre dans certain CRA ou la régulation du nombre de personnes dans les réfectoires. Néanmoins, les associations déplorent la fluctuation des consignes sanitaires et l’absence de consigne uniforme au niveau national. Par exemple, l’usage et la durée des « quarantaines » et des mises à l’isolement des personnes symptomatiques et des « cas contact » variaient en fonction des CRA. De la même façon, l’usage des tests PCR à l’entrée des CRA variait d’un CRA à un autre. Par ailleurs, les chefs de centre et les préfectures ont été invités par le ministère de l’Intérieur à respecter un taux d’occupation maximale de 60 à 70% dans les CRA afin de rendre possible la distanciation sociale. Cette recommandation (non obligatoire), n’a pas été respectée partout. L’absence de consignes claires et uniformes concernant les mesures sanitaires a ainsi mis en danger la santé des personnes retenues.

La crise sanitaire a également eu pour effet d’entraver voir de suspendre de nombreux droits garantis par la loi aux personnes retenues. Ainsi, l’accompagnement juridique par les associations dans les centres a été dégradé, limité ou impossible. De nombreuses personnes n’ont ainsi pas pu exercer leurs droits dans les temps. Par ailleurs, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, le gouvernement a permis un recours élargie à la vidéo audience incluant les démarches auprès du Juge des libertés et de la détention (qui contrôle régulièrement la légalité de la privation de liberté) dans des conditions que ne respectaient pas toujours le droit à un procès équitable prévu par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Certaines audiences se sont tenues dans des lieux non prévues à cet effet comme un commissariat de police ou un réfectoire avec de nombreux problèmes techniques (décalage du son, coupure de l’image). Par ailleurs, les personnes retenues étaient souvent seules pendant l’audience, leur avocat ainsi que l’interprète étant dans le bureau du magistrat. La confidentialité des échanges entre l’avocat et son client était donc souvent impossible. Dans certaines villes, les audiences se tenaient uniquement par téléphone.

En outre, d’autres droits ont été dégradés tel que le droit de visite. Dans certains CRA les visites sont interdites pendant les sept premiers jours de la rétention afin d’assurer un isolement sanitaire total alors même que les nouveaux entrants sont placés tous ensemble au fur et à mesure des entrées. En raison des clusters, certains CRA ont supprimés le droit de visite pour tous les retenus sans distinction, qu’ils soient cas contact ou non. Ce droit n’a pu être rétabli qu’après l’intervention du juge de la liberté et de la détention.

Par ailleurs, les associations dénoncent un enfermement abusif et punitif puisque les frontières de nombreux pays étant fermées, les éloignements étaient impossibles. Or, la loi dispose qu’un étranger « ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ ». L’enfermement est donc détourné de son but. Cette politique punitive s’est également traduite par la pénalisation quasi-automatique du refus de test PCR. Lorsque les frontières ont été réouvertes, de nombreux pays demandaient un test PCR négatif effectué dans les 72H pour pouvoir entrer sur leur territoire. Certains retenus ont refusé d’effectuer ce test. En réponse, les personnes qui ont refusé le test ont été placées en garde à vue puis jugées le plus souvent en comparution immédiate. Ces condamnations ont pu atteindre jusqu’à quatre mois de prisons ferme accompagnés jusqu’à dix ans d’interdiction de retour sur le territoire français. Le code de santé publique prévoit pourtant « qu’aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne » et les hypothèses dans lesquelles un refus d’acte médical peut avoir des conséquences pénales doit être explicitement prévu par la loi (ce qui n’est pas le cas en l’espèce). Par ailleurs, lorsque les personnes n’ont pas été déférées, beaucoup ont été placées à l’isolement pendant sept jours. Cet isolement total peut avoir de graves conséquences psychologiques sur les retenus et constitue une entrave à l’exercice des droits des retenus qui n’ont plus aucun moyen de communiquer avec l’extérieur.