Turquie : un recul inquiétant des libertés fondamentales
Le président Recep Tayyip Erdogan et son Parti de la justice et du développement (AKP), au pouvoir en Turquie depuis 2002, ont adopté un régime de plus en plus autoritaire ces dernières années, en emprisonnant opposants et critiques, en particulier les Kurdes. Dans ce contexte, les Turcs sont de plus en plus nombreux à rejoindre l’Europe en quête de protection
L’arrivée au pouvoir d’Erdogan a permis au régime de se stabiliser et au pays de se remettre d’un XXe siècle marqué par une série de coup d’État et d’affrontements armés. La Turquie était alors dans une phase de démocratisation, notamment avec sa candidature à l’Union européenne. Mais dès 2015, des affrontements armés entre le gouvernement turc et le PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan, organisation désignée comme terroriste par la Turquie) ont repris. Depuis, selon l’Ofpra, toute personne engagée en faveur de la cause kurde, ou soupçonnée de l’être, vit dans la crainte de persécutions.
Dans ce contexte, le Centre kurde des droits de l’homme a publié, en février 2025, un rapport synthétique sur la situation des droits humains en Turquie, en particulier en ce qui concerne la liberté d’expression, la répression des journalistes et la marginalisation de la communauté kurde. Selon l’ONG, le peuple kurde, la plus grande minorité ethnique de Turquie, est marginalisé dans l’ensemble de la société : avocats, universitaires, militants, journalistes sont pris pour cible. Ils subissent une pression accrue, des arrestations, des détentions et des poursuites judiciaires arbitraires, ainsi que de la censure. La crainte de représailles du régime d’Erdogan favorise l’auto-censure de toute part.
Les partis pro-kurdes sont régulièrement harcelés par le gouvernement par le biais de discours de haine, de poursuites à motivation politique et de désinformation dans les médias pro-gouvernementaux. Le rapport 2025 de l’ONG Freedom House montre que les membres du Parti démocratique des peuples (HDP), parti d’opposition pro-kurde, font régulièrement l’objet d’enquêtes criminelles, de discours de haine et de désinformation dans les médias pro-gouvernementaux. Les anciens co-présidents du Parti démocratique des peuples (HDP) restent emprisonnés aux côtés de nombreux militants et élus locaux, sous prétexte d’activités « terroristes ». Des maires élus dans les provinces kurdes ont été destitués et remplacés par des administrateurs nommés par l’État.
Le Centre kurde des droits de l’homme rapporte aussi une détérioration de la liberté d’expression et une criminalisation du journalisme. La majorité des médias turcs, appartenant à des groupes proches du président Erdogan ou dépendants des marchés publics, relaient principalement la ligne du gouvernement. Les médias indépendants subissent de fortes pressions politiques. Ils sont fréquemment censurés ou poursuivis en justice lorsqu’ils abordent des sujets sensibles, comme la question kurde ou des critiques du pouvoir. La Turquie figure aujourd’hui parmi les pays où la liberté de la presse est la plus restreinte, occupant la 159e place sur 180 dans le classement 2025 de Reporters sans frontières.
Le gouvernement surveille et censure également l’Internet turc, notamment les réseaux sociaux, ce qui favorise l’autocensure. Une loi adoptée en 2022 prévoit jusqu’à trois ans de prison pour la diffusion présumée de fausses informations sur les réseaux sociaux.
Le durcissement du régime s’est ressenti après les élections municipales de mars 2024. Pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir en 2002, l’AKP, le parti du président Erdogan, a subi une défaite significative, permettant au principal parti d’opposition, le Parti républicain du peuple (CHP), de s’imposer dans tous les grands centres urbains. Depuis, selon un rapport d’Iris du 20 avril 2025, on observe une multiplication des arrestations d’opposants politiques, de journalistes et la destitution d’une dizaine de maires élus. Le 19 mars 2025, un nouveau cap a été franchi avec l’arrestation du maire d’Istanbul, Ekrem Imamoğlu, à quelques jours de sa désignation comme candidat à la présidentielle pour le CHP. Maire d’Istanbul depuis 2019, il représentait le principal opposant au pouvoir. La motivation des poursuites à son encontre, concernant de supposées affaires de fraude financière et de marchés truqués, semble avant tout politique.
Un autre événement récent pourrait marquer un tournant politique majeur : le 12 mai 2025, le PKK a annoncé sa dissolution officielle, mettant fin à plus de quarante ans de lutte armée contre l’État turc. Le groupe affirme avoir « accompli sa mission historique » et amorce une « nouvelle ère », celle de la « résolution de la question kurde par la voie de la politique démocratique ».
Ce contexte amène de nombreux ressortissants turcs à quitter leur pays pour chercher une protection en Europe. La Turquie est ainsi devenue en 2020 le 5ème principal pays d’origine des primo-demandeurs d’asile dans l’Union européenne (UE), passant même 3ème en 2023 pour revenir à la 5ème place l’année suivante (46 835 primo-demandeurs en 2024). Le taux de protection moyen en première instance dans l’UE demeure cependant limité, à hauteur de 16,4% en 2024.