Les données concernant la mise en œuvre du droit d’asile en Europe sont citées fréquemment pour soutenir une grande variété d’arguments. Cependant, les statistiques ne sont pas toujours précises ou comprises. Il convient donc de distinguer leur champ et leurs limites afin d’éviter les analyses erronées sur la situation de l’asile en Europe.

Afin de mieux comprendre les enjeux autour des statistiques de l’asile, le Conseil européen pour les réfugiés et les exilés (CERE / ECRE) a publié une note en décembre 2022 (en anglais) qui permet de rappeler plusieurs éléments clés.

La source principale de données est l’agence européenne Eurostat qui réunit les chiffres fournis par les autorités nationales dans plusieurs domaines, dont l’asile et la migration. Un règlement oblige 32 États, de l’Union européenne mais aussi au-delà, à soumettre des données à Eurostat. Les données Eurostat sont par ailleurs reprises par l’Agence européenne pour l’asile (AUEA/EUAA), qui partage régulièrement les tendances européennes sur son site Internet.

Les informations fournies par Eurostat et par l’EUAA sont fiables et peuvent être utilisées dans le but de soutenir des arguments politiques, à condition de bien les comprendre.

Les deux données les plus citées sont le nombre de demandes d’asile, souvent utilisé afin d’illustrer une « pression migratoire » en Europe, et le taux de protection, c’est-à-dire le pourcentage de demandeurs d’asile se voyant octroyer une protection. Lorsque ce dernier est bas, il est fréquemment utilisé dans le but d’appuyer l’idée que beaucoup de migrants n’ont pas besoin d’une protection internationale et qu’il faut donc privilégier des politiques de fermeture des frontières et de retours.

Il est à noter que le nombre de demandes est régulièrement confondu avec le nombre d’entrées irrégulières sur le territoire européen, publié par l’agence de garde-frontières et de garde-côtes Frontex. Or, le nombre d’entrées ne reflète pas le nombre de personnes estimant être persécutées et sollicitant une protection. De plus, une même personne peut franchir plusieurs fois une frontière, et donc augmenter le nombre de passages, ce que comptabilise Frontex.

Il est aussi important de tenir compte du fait que le nombre de demandes d’asile ne représente que le nombre de demandes déposées par des personnes ayant pu accéder à la procédure. En effet, de nombreuses politiques empêchent les arrivées, et donc le dépôt de demandes : fermetures des frontières, accord UE-Turquie, refoulements …

L’analyse du taux de protection fait par ailleurs apparaître plusieurs difficultés.

Tout d’abord, le taux de protection moyen en Europe ne reflète pas les réalités de chaque pays. Certains pays protègent beaucoup plus que d’autres. Mais il faut aussi prendre avec précaution les comparaisons des taux de protection d’un pays à l’autre : un taux moins élevé pour un pays par rapport à un autre peut simplement signifier que moins de personnes en besoin de protection y ont demandé l’asile, et ne pas nécessairement que le système d’asile y est moins efficace. Le taux de protection est également influencé par certaines politiques nationales. En 2021, par exemple, la Belgique et la Norvège ont décidé de suspendre l’examen des demandes de ressortissants afghans. La prise en compte des réinstallés dans les statistiques nationales peut aussi varier d’un pays à l’autre.  

Par ailleurs, le taux de protection en première instance ne reflète pas le taux de protection dans sa globalité, puisque beaucoup de protections sont octroyées lors de la phase de recours – où l’on constate de grandes différences quantitatives entre États. Il est cependant impossible de calculer un taux de protection annuel incluant les recours, puisque les procédures juridictionnelles s’étalent généralement sur plusieurs années. En France par exemple, un demandeur peut obtenir un refus OFPRA et se voir octroyer la protection internationale l’année d’après par la Cour nationale du droit d’asile.

Il arrive aussi que les données transmises à Eurostat ne soient pas les mêmes que celles publiées au niveau national. Comme indiqué dans notre article « Asile : comprendre et analyser les données statistiques [françaises] » publié en janvier 2022, pendant longtemps, les autorités françaises ne transmettaient pas leurs données à Eurostat, mais se contentaient de relayer les données de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) (hors procédures Dublin donc), ce qui avait pour effet de fausser la comparaison avec les autres pays européens.

Enfin, il existe plusieurs formes de protections, qui diffèrent d’un État à l’autre. En France, par exemple, la protection humanitaire n’existe pas tandis qu’elle constitue une issue possible à la demande d’asile (en plus du statut de réfugié et du bénéfice de la protection subsidiaire) dans certains pays. De ce fait, les comparaisons à l’échelle européenne peuvent être faussées si elles ne distinguent pas les types de protection.