Le Pacte sur la migration et l’asile visant à réformer le régime d’asile européen commun, proposé par la Commission européenne en septembre 2020 et actuellement en cours de discussion, pourrait généraliser l’approche hotspots, c’est-à-dire l’enfermement à l’entrée sur le territoire européen. Une orientation qui suscite de nombreuses inquiétudes en matière de respect des droits fondamentaux.

 

La proposition de règlement « filtrage » figurant dans le Pacte sur la migration et l’asile, ayant pour but d’identifier les demandeurs d’asile des autres migrants, prévoit notamment une fiction de non-entrée : les ressortissants de pays tiers tentant de passer la frontière sans y être autorisés n’auraient pas le droit d’entrer sur le territoire d’un pays de l’Union européenne avant de procéder aux procédures filtrage prévue par le règlement.  

La proposition ne s’étend pas sur la manière d’assurer cette fiction de non-entrée et laisse la question aux droits nationaux, ce qui apparait contradictoire avec l’objectif d’harmonisation européenne. Elle laisse notamment ouverte la possibilité d’appliquer un filtrage à toute personne appréhendée irrégulièrement sur le territoire et pas seulement au moment de l’arrivée. 

Dans la pratique, ce nouveau cadre juridique impliquerait nécessairement la rétention des migrants dans des centres fermés aux frontières. L’étude d’impact commandée par le Parlement européen souligne que cette privation de liberté systématique par les autorités nationales questionne la proportionnalité de la mesure au regard de l’article 6 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE qui garantit le droit à la liberté.

Le filtrage consiste à identifier les personnes, à procéder aux vérifications sanitaires et sécuritaires,  et à enregistrer les empreintes Des mécanismes permettant d’assurer des conditions d’accueil adéquates ne sont pas inclus dans la proposition, à l’exception des limites de temps. Ces dernières sont cependant larges, avec une possibilité de rétention pouvant s’étendre au total sur plus de 6 mois : si la procédure de filtrage ne pourrait durer plus de 5 jours, elle pourrait cependant être suivie d’une procédure d’asile en rétention d’une durée maximum de 12 semaines, éventuellement suivie d’une procédure de retour pouvant s’étendre aussi jusqu’à 12 semaines.

Les personnes concernées pourraient être très nombreuses, avec une faible rotation des places au regard de la durée maximale d’enfermement prévue. La procédure d’asile à la frontière, faisant suite au filtrage et décrite dans la proposition de règlement « procédures », pourrait s’appliquer aux nationaux de pays dont le taux de protection des ressortissants est inférieur à 20%, ou lorsqu’un pays d’origine sûr peut être identifié. L’étude d’impact estime que, sur la base des données de la période 2015-2017, 51% des personnes demandant l’asile à l’arrivée seraient sujets à la procédure à la frontière suite au filtrage de 5 jours maximum, et donc à une rétention de plusieurs semaines. Par ailleurs, selon la proposition de règlement « crise », il serait possible d’appliquer exceptionnellement la procédure à la frontière à des demandeurs de pays tiers dont le taux d’accord est inférieur à 75%, d’étendre la durée de la procédure d’asile, mais aussi de retarder l’enregistrement des demandes de protection internationale, et, par conséquent, d’étendre le champ et la durée de la rétention.

S’il est adopté, ce dispositif de rétention étendu et généralisé pourrait engendrer les mêmes problèmes que ceux documentés jusqu’à récemment dans les hotspots grecs, un modèle déjà largement critiqué précédemment pour les atteintes aux droits fondamentaux constatées (voir notamment un rapport de la Cour des comptes européennes publié en 2017) : surpopulation, violence, état de santé physique et mental dégradé, manque d’hygiène, accès limité à des avocats et à l’information, ou encore violations des droits de l’enfant. En effet, la proposition de Pacte ne supprimant pas le critère prédominant de la responsabilité du pays de première entrée, et ne promouvant pas de voies légales, il ne gommera pas les déséquilibres existants dans la répartition des demandeurs d’asile dans les États membres. Les régions frontalières de l’Union européenne, comme les côtes italiennes, maltaises, chypriotes ou grecques, continueront à recevoir la majorité des ressortissants de pays tiers et seront donc tenues de mettre en place d’importants dispositifs d’enfermement. Selon l’étude d’impact, dans un scénario similaire à la période 2015-2016, l’Italie, par exemple, devrait tripler la capacité de ses centres.

Le règlement « filtrage » est actuellement en phase de trilogues, c’est-à-dire de discussions informelles entre la Commission, le Conseil et le Parlement européen. Ce dernier est en faveur de l’élimination de la fiction de non-entrée  mais le Conseil ne partage pas cet avis.

De plus, le 8 juin 2023, en adoptant sa position sur le règlement « procédure », le Conseil a affirmé vouloir appliquer la procédure à la frontière aux personnes présentant un danger pour la sécurité nationale ou l’ordre public, aux personnes qui induisent en erreur les autorités, aux personnes d’une nationalité pour laquelle les décisions accordant une protection internationale représentent moins de 20 % du nombre total des décisions, et aux personnes en provenance d’un pays d’origine sûr, selon les critères de chaque État. Il a aussi convenu que les États ne devraient pas dépasser un certain nombre d’examens à la frontière dépassant la capacité adéquate de chaque État (fixé par la Commission sur la base, notamment, des franchissements irréguliers et des arrivées suite à des opérations de sauvetage). Du côté du Parlement, les députés souhaitent prioriser les alternatives à la rétention. Les trilogues diront si un accord interinstitutionnel est possible.

Pour ce qui est du règlement « crise », la position du Conseil est attendue avant d’entamer les discussions avec le Parlement. D’après le Conseil européen pour les réfugiés et les exilés (ECRE), l’objectif des États membres est d’obtenir un accord entre eux fin juillet, pour débuter les trilogues à la rentrée.