Le 14 juin 2023, plusieurs centaines de personnes cherchant à rejoindre l’Europe perdaient la vie au large de la Grèce suite au naufrage de leur navire. Cet évènement dramatique a poussé l’Agence européenne des droits fondamentaux de l’Union européenne à demander un engagement de l’UE et des États membres à travers des mesures concrètes, en vue d’éviter d’autres drames en mer.

 

Le 14 juin 2023, un navire en provenance de Libye, avec à son bord des personnes originaires principalement d’Egypte, du Pakistan et de Syrie, a chaviré au large de la côte du Péloponnèse en Grèce. Une centaine de personnes ont été secourues. D’après ces derniers, ils étaient environ 750 sur le bateau, mais seuls 82 corps sans vie ont été retrouvés. Le reste des passagers reste porté disparu.  

Les personnes qui fuient par bateau pour échapper à la guerre, au danger ou à la misère ne sont pas un phénomène nouveau, ni uniquement européen. Pour rappel, entre 1970 et 1980, les boat people ont d’abord pris la fuite dans la mer de Chine méridionale avant de faire l’objet de politiques d’accueil exceptionnelles de la part de plusieurs pays occidentaux. Ce naufrage de juin 2023, particulièrement marquant en raison de son ampleur exceptionnelle, n’est malheureusement pas isolé. En 2022, il y a eu environ huit noyades par jour de migrants en moyenne. D’après l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), au premier trimestre de 2023, le nombre de décès en Méditerranée centrale était le plus élevé depuis 2017 (441).

Suite au naufrage dit « de Pylos », l’Agence européenne des droits fondamentaux (Fundamental Rights Agency - FRA)  a envoyé une équipe en Grèce, qui a elle-même lancé une investigation, pour recueillir des informations sur les circonstances entourant la tragédie de juin 2023. La FRA a visité le centre d’accueil où ont été transférés les survivants, a mené des réunions avec l’ensemble des acteurs de l’asile et des migrations dans le pays. L’Agence s’est aussi rendue au siège de Frontex à Varsovie, où l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes l’a informé de l’enclenchement de sa procédure d’incident grave - qui n’aboutit cependant qu’à des recommandations.

Suite à cette enquête, FRA a suggéré, dans un rapport du 6 juillet 2023, des mesures concrètes afin d’empêcher les décès en mer et de réagir efficacement aux situations de danger :

La FRA demande tout d’abord que soient menées des enquêtes rapides, efficaces et indépendantes. Les États membres de l’UE devraient enquêter rapidement sur tous les naufrages dans lesquels des personnes meurent dans le respect des exigences procédurales établies par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), dans le but d’identifier les responsabilités. Pour que l’enquête soit efficace, elle ne devrait pas dépendre d’une plainte des victimes, elle devrait permettre à celles-ci de participer à la procédure, être transparente, et les Etats devraient chercher l’expertise d’organismes spécialisés dans les droits de l’homme et la recherche et le sauvetage maritime. De plus, selon FRA, les normes de la directive 2009/18 régissant les enquêtes sur les accidents dans le secteur des transports maritimes pourraient trouver à s’appliquer dans le contexte migratoire.

Il est ensuite recommandé d’améliorer la recherche et le sauvetage en mer. Le droit à la vie, notamment garanti par l’article 2 de la Charte européenne des droits fondamentaux, implique l’obligation, pour les États, de prendre les mesures appropriées pour protéger la vie des personnes sous leur juridiction.

Bien que les opérations de recherche et de sauvetage échappent en principe au champ d’application du droit de l’UE, il existe pourtant deux cas où celui-ci, et donc la Charte des droits fondamentaux, entre en jeu : les opérations de sauvetage conjointes dirigées par Frontex et lorsque la recherche et le sauvetage font partie des activités de gestion intégrée des frontières de l’UE. En vertu de l’article 3 du règlement européen sur les frontières et les garde-côtes, la recherche et le sauvetage font partie de la gestion intégrée des frontières. Par conséquent, le rapport préconise un ensemble de mesures concrètes pour améliorer le dispositif actuel.

La troisième recommandation porte sur des règles claires de débarquement et de solidarité dans la prise en charge. L’État membre qui secoure un migrant en mer est, selon le régime d’asile commun en vigueur, responsable de sa demande d’asile, ce qui faire peser une charge disproportionnée pour les pays côtiers.  La FRA se positionne donc en faveur d’un mécanisme de relocalisation post opération de sauvetage, tel que proposé dans le Pacte sur la migration et l’asile. L’idée a cependant été écartée de la position du Conseil en juin 2023. À défaut, l’agence propose d’étendre la durée du mécanisme de solidarité volontaire de 2022, auquel participent certains Etats membres.  

Dans un quatrième point la FRA plaide pour une meilleure protection des survivants de naufrages. Elle souligne qu’actuellement, la plupart des victimes de violations des droits aux frontières extérieures de l’UE n’obtiennent pas réparation devant les tribunaux nationaux, bien que les migrants victimes de trafiquants ont droit au soutien prévu par la directive 2012/29 relative aux victimes de crimes, qui inclut le droit à l’information, l’accès à l’aide juridictionnelle, un soutien psychologique ou encore l’accès à des services d’identification de membres de la famille défunts. Pour la FRA, le législateur européen devrait identifier explicitement les survivants demandeurs d’asile comme ayant des besoins particuliers et ainsi leur éviter les procédures à la frontière prévues dans le Pacte. De plus, l’Agence européenne pour l’asile, en coopération avec Frontex, pourrait élaborer un guide sur les procédures pour les survivants de naufrages.

La FRA propose par ailleurs aux États membres d’établir un mécanisme de surveillance des frontières indépendant, qui pourrait empêcher les violations des droits fondamentaux, fournir des éléments d’enquête et augmenter la confiance dans les pouvoirs publics. Le Pacte propose d’ailleurs un mécanisme de surveillance des droits fondamentaux de la sorte. L’agence a notamment publié un guide pour sa mise en place.

Enfin, l’Agence européenne des droits fondamentaux rappelle la nécessité de mettre en place des voies légales vers l’UE plus accessibles. Les personnes qui entreprennent des voyages périlleux à travers la Méditerranée ont en effet peu d’options pour voyager légalement. Les États membres devraient offrir plus de places de réinstallation, prévoir des programmes humanitaires et leur accorder la priorité lors de l’allocation de fonds communautaires. L’UE et les États devraient aussi concevoir des voies liées au travail, spécialement dans les secteurs connaissant une pénurie de main d’œuvre, et coopérer avec les pays de premier asile/de départ vers l’UE.

Le 26 juillet 2023, le médiateur européen, qui œuvre à la promotion de la bonne administration des institutions et agences de l’UE, a à son tour annoncé l’ouverture d’une enquête, qui mènera sans doute à des recommandations supplémentaires.