Au mois de janvier 2024, plus de quatre-vingt organisations de la société civile européenne ont lancé la campagne « Arrêtons l’inhumanité aux frontières de l’Europe ! », dans le but de rappeler les difficultés que connaissent les exilés à nos frontières et d’exhorter les responsables politiques à agir. La situation est en effet alarmante à plusieurs niveaux.

Les personnes en besoin de protection internationale font très souvent face à des traitements inhumains aux frontières européennes. La campagne « Arrêtons l’inhumanité aux frontières de l’Europe ! », soutenue par un nombre croissant d’organisations de la société civile européenne, dont Forum réfugiés, appelle les autorités à prendre plusieurs mesures dans ce domaine.

Il est tout d’abord demandé d’arrêter les refoulements sur terre ou en mer, comme c’est notamment le cas depuis plusieurs années à la frontière franco-italienne (un rapport de Forum réfugiés alertait sur la situation dès avril 2017) ou serbo-hongroise (voir notre article de septembre 2021).

Les États sont aussi appelés à mettre fin aux mesures de dissuasion, qui n’ont pas d’impact direct sur les arrivées. Ces mesures prennent plusieurs formes comme la limitation du nombre de sauvetages en mer qu’un navire peut faire avant un débarquement dans un port en Italie, l’augmentation des possibilités de placement en rétention prévu dans le futur Pacte sur l’asile et la migration de l’Union européenne ou encore la réduction des garanties procédurales actée dans la nouvelle loi sur l’immigration française. Plusieurs études ont démontré l’inexistence d’un lien entre les mouvements migratoires et la situation à l’arrivée et le contexte actuel le prouve, le nombre d’arrivées augmentant malgré la tendance aux mesures de dissuasion.   

Par ailleurs, le renforcement des contrôles aux frontières ne fait que donner une raison d’être aux passeurs, contre lesquels les États luttent. La campagne exhorte aussi les États européens à ne pas coopérer avec des pays, tels que la Libye ou la Tunisie, ne respectant pas le droit international et leurs valeurs.

Les familles des personnes ayant perdu la vie ou les personnes ayant subi des préjudices lors d’une opération de gestion des frontières devraient avoir pleinement accès à leurs droits. Elles devraient être informées de leurs possibilités et des enquêtes menées par des autorités indépendantes devraient systématiquement avoir lieu. En outre, le sauvetage en mer, qui est une obligation légale, ne devrait pas conduire à des poursuites. En Grèce, par exemple, plusieurs membres d’ONG font l’objet de poursuites qui s’apparentent à de l’intimidation et que l’agence pour les droits fondamentaux de l’UE dénonce.

Afin de stopper l’inhumanité aux frontières, il est indispensable de créer des itinéraires sûrs, tout en maintenant la possibilité de demander l’asile sur le territoire. Cela éviterait à des milliers de personnes de perdre la vie. D’après l’Organisation internationale pour les migrations, près de 100 personnes ont disparu ou péri dans la Méditerranée sur le premier mois de l’année 2024. Le bilan est deux fois plus lourd qu’à la même période l’an dernier, l’année la plus meurtrière pour les migrants en mer en Europe depuis 2016. Selon le projet « Migrants disparus » de l’OIM, le nombre annuel de décès et de disparitions de migrants dans toute la Méditerranée est passé de 2 048 en 2021 à 2 411 en 2022, et à 3 041 fin 2023. Les programmes de réinstallation et de voies complémentaires existants sont très limités au regard des besoins mondiaux.

L’une des demandes des signataires de la campagne est aussi de ne pas externaliser la gestion de l’asile, que ce soit de manière totale, comme dans le « plan rwandais » britannique, ou partielle, comme dans l’accord entre l’Italie et l’Albanie (les deux étant toujours à l’état de projet à l’heure de l’écriture de cet article). Dans ce dernier cas, seuls les migrants secourus par les autorités italiennes en dehors des eaux territoriales européennes pourraient être transférés vers l'Albanie, et uniquement pour la période de l’examen de la demande d’asile. Ces accords soulèvent de nombreux problèmes juridiques et de respect des droits de l’homme. La juridiction suprême britannique a d’ailleurs jugé que l’accord initial avec le Rwanda était illégal.  

Enfin, l’un des enjeux clés pour améliorer la situation aux frontières est de réformer Frontex afin que que l’agence des garde-côtes et gardes-frontières de l’UE soit pleinement responsable de ses activités. En octobre 2022, le média allemand Der Spiegel a publié le rapport de l’office de l’UE de lutte antifraude relatif à Frontex. Dans ce dernier, on y apprend que plusieurs responsables ont commis des fautes graves, comme l’absence de signalements d’incidents. Bien que des procédures puissent relever du statut des fonctionnaires de l’UE et que l’agence soit contrôlée par un groupe de travail du Parlement européen et financièrement responsable devant ce dernier, sa responsabilité n’a pas encore été pleinement engagée. Développer de meilleures pratiques de coordination des opérations nationales avec Frontex est aussi primordial afin d’éviter des tragédies.