Le projet de loi de finances, actuellement débattu au Parlement, détermine chaque année les recettes attendues par l’État et les dépenses prévues. Il permet notamment de déterminer moyens affectés à la politique d’asile et d’immigration. Le budget de l’État est divisé en plusieurs « missions », lesquelles sont composées de « programmes ». Parmi les documents budgétaires, on trouve ainsi une annexe détaillant les crédits de la mission « Immigration, asile, intégration », elle-même divisée en deux programmes (303 « Immigration et asile » et 104 « Intégration et accès à la nationalité française »). Certains crédits se trouvent dans d’autres missions et programmes, notamment celui relatif au « Conseil d’État et autres juridictions administratives » pour le budget de la Cour nationale du droit d’asile.

Le projet de loi de finances prend pour hypothèse une « poursuite de la reprise des flux » observée en 2022 et envisage environ 135 000 demandes introduites à l’OFPRA en 2023 soit un niveau proche du record atteint en 2019 avec 132 498 demandes. La réduction des délais de traitement de la demande d’asile, l’optimisation de la prise en charge des demandeurs d’asile et l’amélioration de l’efficacité de la lutte contre l’immigration irrégulière sont encore cette année les trois objectifs de la mission « immigration, asile, intégration ».

L’un des enjeux majeurs dans le domaine de l’asile porte sur l’hébergement des personnes en cours de procédure, dans un contexte de sous dimensionnement du dispositif national d’accueil. En 2022, la loi de finances avait prévu la création de 4 900 places (3 400 en centre d’accueil pour demandeur d’asile – CADA - et 1 500 places en centre d’accueil et d’évaluation des situations – CAES) mais cette hausse des capacités d’hébergement était conditionnée au non dépassement des crédits liés à l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA) au cours de l’année. Or, l’arrivée inattendue des déplacés d’Ukraine a entraîné un large dépassement du budget prévisionnel de l’ADA (non encore quantifié pour 2022) : le statut de « bénéficiaires de la protection temporaire » qui leur a été ouvert (voir notre article de mars 2022) permet en effet de se voir attribuer l’ADA selon le même barème que les demandeurs d’asile. Plus de 100 000 personnes étaient concernées par ce statut à la fin de l’été 2022 et touchaient donc l’ADA, soit presque autant que les demandeurs d’asile à la fin 2021 (111 901). Ce dépassement de l’ADA n’a donc pas permis de créer les places prévues dans la précédente loi de finances.

Le projet de loi de finances 2023 vise donc à rattraper cela en prévoyant des crédits, cette fois non conditionnés au budget ADA, pour la création de 4 900 places d’hébergement pour demandeurs d’asile : 2 500 places en CADA, 1 500 places en CAES et 900 places en hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile (HUDA). Ces places HUDA seront ouvertes en outre-mer, pour « régulariser des places qui existent déjà sous forme de nuitées hôtelières » : elles ne permettront donc pas véritablement d’augmenter la capacité d’hébergement mais de mieux maîtriser les coûts. Par ailleurs, 986 places de CAES financées jusqu’en 2022 dans le cadre du plan de relance ayant accompagné la crise sanitaire, seront pérennisées dans le budget de l’asile. Au total, le parc d’hébergement pour demandeurs d’asile devrait ainsi atteindre près de 109 000 places à la fin de l’année 2023.

Concernant l’hébergement, le projet de loi de finances prévoit également une hausse des prix de journée des dispositifs, très attendue par les opérateurs : le prix de journée des CADA n’avait par exemple pas évolué depuis 2015 alors que l’ensemble des charges (loyer, eau, électricité, etc.) connaissait une hausse constante. Le coût cible journalier de l’ensemble des lieux d’hébergement pour demandeurs d’asile (CADA, HUDA, CAES) sera donc augmenté de 1,5 € : le prix de journée CADA passe par exemple de 19,5 € par jour à 21 €. Nécessaire, cette évolution permettra de prendre en compte la revalorisation salariale annoncée en février 2022 par le gouvernement pour les métiers de l’accompagnement social et médico-social. La prise en compte de l’inflation, également mentionnée dans les documents budgétaires, pourrait cependant s’avérer insuffisante si les prix – notamment de l’énergie - connaissaient une hausse trop importante. Il n’est donc pas certain que les opérateurs disposeront réellement d’une plus grande marge de manœuvre budgétaire dans la gestion de ces lieux.

Par ailleurs, la hausse des capacités d’hébergement ne permettra pas de modifier en profondeur le contexte actuel dans lequel de nombreux demandeurs d’asile se retrouvent sans solution et sont donc parfois contraints de rester à la rue pendant leur procédure. Si le projet de loi de finances prévoit que 62% des demandeurs d’asile soient hébergés fin 2022 et 70% fin 2023 (alors que les précédents projets de loi de finances évoquaient une cible de 90% pour cette année), il ne comptabilise que les demandeurs d’asile éligibles aux conditions matérielles d’accueil (CMA). Or l’une des tendances fortes constatée ces derniers mois concerne les situations de refus, suspension ou retrait des CMA : environ un quart des demandeurs d’asile serait dans cette situation (voir notre article de juillet 2022), non hébergés et non pris en compte dans les indicateurs étatiques. Ceux-ci sont d’ailleurs revus à la baisse pour les années à venir, le taux cible de 70% étant un objectif maintenu jusqu’à 2025.    

Les demandeurs d’asile éligibles aux CMA peuvent par ailleurs percevoir l’allocation pour demandeur d’asile (ADA). Alors que les discussions budgétaires ont été marquées pendant longtemps par une sous-budgétisation particulièrement marquée sur l’ADA, cette tendance semblait s’atténuer ces dernières années avec des budgets plus conséquents votés pour cette allocation. Les prévisions budgétaires pour l’année 2023 sont donc plutôt étonnantes et marquent un retour en arrière en matière de sincérité budgétaire. En effet, la dotation pour l’ADA prévue en 2023 est de 314,7 millions d’euros soit 36% de moins que la loi de finances initiale 2022 (qui n’incluaient pas le montant ADA consacré aux bénéficiaires de la protection temporaire, réfugiées d’Ukraine, et a donc été largement dépassée). En 2021, les dépenses ADA s’étaient élevées à 387,6 millions d’euros, avec cette année-là 103 430 demandes d’asile enregistrées à l’OFPRA. En 2019, année où les demandes d’asile enregistrées à l’OFPRA ont été du même ordre que ce qui est prévu pour 2023 (environ 135 000 demandes), les dépenses avaient atteint 492,5 millions d’euros (soit 47% de plus que la prévision initiale à l’époque). Le gouvernement explique que cette prévision se base sur une réduction des délais d’instruction, et une « intensification des dispositifs de contrôle » par l’OFII, qui est par ailleurs invité à poursuivre la mise en œuvre des dispositions issues de la loi de 2018 qui réduisent le nombre de bénéficiaires (fin du caractère automatiquement suspensif du recours CNDA pour certaines procédures, échange d’information avec les dispositifs d’hébergement généralistes, modalités de délivrance réduites). Par ailleurs pour les demandeurs d’asile sous procédure Dublin, « les mesures de retrait systématique de l’ADA aux personnes qui ne coopèrent pas à la mise en œuvre de leur transfert continueront à être appliquées de manière résolue ». À cela s’ajoutent des frais de gestion ADA de 6 millions d’euros, un montant similaire à l’année précédente mais qui représente une part plus importante dans le budget total de l’ADA (1,9%) par rapport à cette année (1,3% en 2022 d’après la loi de finance initiale) mais aussi par rapport aux années précédant le passage en septembre 2019 d’une carte de paiement à une carte de retrait (1,1% en 2018, 1% en 2019) - pourtant justifié à l’époque par un soucis d’économie en matière de frais de gestion.

L’écart entre le budget prévisionnel de l’ADA et les dépenses réelles de l’année 2023 pourrait s’avérer entre plus important que prévu, puisqu’il est précisé que « compte tenu des incertitudes qui entourent le conflit et l’évolution des flux, les dépenses prévisionnelles correspondantes pour 2023 ne sont pas présentées » dans le projet de loi de finances 2023. La commissaire aux Affaires intérieures de l’Union européenne a pourtant annoncé récemment que « la directive sur la protection temporaire continuera à s'appliquer au moins jusqu'en mars 2024 » ce qui pourrait avoir un impact sur l’ensemble du budget de l’asile, également mobilisé pour financer les centres d’hébergement collectifs dédiés aux réfugiés d’Ukraine.