L’activation d’un nouveau cadre juridique : la protection temporaire

La directive « protection temporaire » a été adoptée par l’Union Européenne en 2001, en réaction au contexte de guerre dans les pays de l’ex-Yougoslavie. Cette directive, qui permet d’accorder une protection rapide et harmonisée en cas « d’afflux massif de personnes déplacées », n’avait, jusqu’à aujourd’hui, jamais été mise en œuvre (voir notre article d’avril 2020). Elle a été activée pour la première fois par les États membres de l’Union européenne dans une décision du 4 mars 2022, dans le but de garantir une protection immédiate à toutes les personnes fuyant le conflit ukrainien. Cette décision constate l’existence d’un afflux massif de personnes déplacées, justifiant la mise en œuvre de la protection temporaire, et définit les catégories de personnes qui pourront en bénéficier.

Qui peut bénéficier de la protection temporaire ?

Le public éligible à la protection temporaire est à la fois défini par la décision du 4 mars 2022 précitée, et par une instruction interministérielle du 10 mars 2022 adressée aux préfets de région et de département, qui précise les modalités de mise en œuvre de la protection temporaire à l’échelle nationale. Le cadre européen pose en effet certains éléments d’application directe et impérative, et permet une marge de manœuvre pour les États souhaitant inclure d’autres catégories de public.

Le bénéfice de la protection temporaire est ainsi octroyé :

  1. Aux ressortissants ukrainiens ayant quitté l’Ukraine à partir du 24 février 2022 ;
  2. Aux réfugiés et apatrides résidant en Ukraine et ayant quitté le pays à partir de cette date ;
  3. Aux ressortissants de pays tiers résidents de longue durée en Ukraine, s’ils ne sont pas en mesure de retourner dans leur pays d’origine dans des conditions sûres et durables ;
  4. Aux ressortissants Ukrainiens présents temporairement dans un État membre au 24 février 2022 et établissant que leur résidence permanente se trouvait en Ukraine à cette date ;
  5. Aux membres de famille des catégories ci-dessus, sans qu’il ne soit exigé qu’ils démontrent une impossibilité de retourner dans leur pays.

Les catégories 1 à 3 sont directement issues de la décision d’application prise à l’échelle européenne, tandis que les autorités françaises ont étendu la protection à la 4ème catégorie. La prise en compte des membres de famille est également étendue en France par rapport au cadre européen, qui n’impose cette protection familiale que pour les catégories 1 et 2.  

Au moment de finaliser cet article, des interrogations demeuraient sur l’appréciation de ces critères par les préfectures, encore variable dans les premiers jours de mise en œuvre, notamment concernant les documents exigés pour les Ukrainiens et l’appréciation de l’impossibilité de retour dans leur pays d’origine pour les non-Ukrainiens.

Quels sont les droits attachés à la protection temporaire ?

Les droits attachés à la protection temporaire figurent à la fois dans la directive européenne de 2001 et la décision d’activation de mars 2022, mais aussi dans les dispositions nationales ayant transposé ou précisé ce cadre européen à savoir le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) dans sa partie législative (articles L.581-1 et suivants) et réglementaire (articles R.581-1 et suivants), et l’instruction précitée du 10 mars 2022.

Les personnes éligibles à la protection temporaire se voient délivrer en préfecture une autorisation provisoire de séjour (APS) de six mois, renouvelable jusqu’à 3 ans maximum (sous réserve du maintien du dispositif à l’échelle européenne). À leur arrivée sur le territoire, les réfugiés en provenance d’Ukraine doivent se rendre au guichet unique « Ukraine », mis en place au sein des préfectures pour se voir délivrer cette APS. Dans certaines grandes métropoles, le passage en préfecture doit être précédé d’une présentation auprès d’une association en charge de la prise de rendez-vous. Les bénéficiaires de la protection temporaire (BPT) bénéficient de l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA), attribuée sous conditions de ressources par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) suite à la délivrance de l’APS.

Ils bénéficient également d’un accès aux soins immédiat, par la protection universelle maladie, sans application du délai de carence (contrairement aux demandeurs d’asile). Les BPT ont également le droit au bénéfice des allocations pour le logement (APL). Les enfants de BPT ont par ailleurs accès au système éducatif, dans les mêmes conditions que les ressortissants nationaux.

L’ensemble des BPT doivent pouvoir bénéficier d’une formation linguistique pour l’apprentissage du français, qui pourrait passer par les programmes de droit commun existants pour l’intégration des réfugiés. Les modalités de mise en œuvre pratique de cet apprentissage sont, pour l’heure, toujours en discussion. 

Concernant le droit au travail, les BPT peuvent en principe travailler dès l’obtention de leur autorisation provisoire de séjour. Néanmoins, des interrogations demeurent à ce sujet. Le cadre juridique français indique en effet qu’une autorisation de travail doit être ultérieurement demandée par les BPT pour accéder au marché du travail, ce qui pourrait constituer un obstacle pratique à l’exercice d’un emploi : l’autorisation de travail suppose en effet une validation des services étatiques qui vérifient l’existence d’une promesse d’embauche et s’assurent que l’emploi est dans un secteur en tension (apprécié à l’échelle de chaque territoire). Toutefois, en pratique, des autorisations provisoires de séjour autorisant directement les BPT à travailler ont été délivrées par certaines préfectures, et les annonces politiques laissent penser que l’intention est d’autoriser immédiatement et sans conditions l’exercice d’un emploi. Il sera ainsi nécessaire d’observer les pratiques en la matière dans les jours qui viennent.   

Les BPT bénéficient également du droit au regroupement familial pour les membres de leur famille non encore présents sur le territoire de l’Union européenne ou qui bénéficient de la protection temporaire dans un autre État membre.

Quel dispositif d’hébergement et d’accompagnement pour les bénéficiaires de la protection temporaire ?

Dans chaque département, une association référente est désignée pour coordonner l’accueil de ces réfugiés. Les bénéficiaires de la protection temporaire (BPT) ne relevant pas du régime d’asile, l’instruction du 10 mars 2022 précise à cet égard qu’ils ne seront pas hébergés au sein du dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile.

L’hébergement des BPT qui ne disposent pas de solution peut prendre plusieurs formes. D’une part, il peut être proposé par les opérateurs spécialisés dans l’accueil des demandeurs d’asile ou l’urgence sociale (hébergements au sein des hôtels sociaux, ouverture de lieux d’hébergement spécifiques) et, d’autre part, par les collectivités publiques et les bailleurs sociaux, via la mise à disposition de locaux divers. Ce dispositif est complété par de l’hébergement citoyen, de nombreuses offres ayant été recensés sur une plate-forme Internet dédiée.

Un accompagnement global des BPT est prévu pour tous, sur le même modèle que les programmes existants pour l’intégration des réfugiés (comme les programmes de type Accelair) qui visent à l’accès aux droits, à l’emploi, à la formation et au logement.

Quelle articulation entre la protection temporaire et le droit d’asile ?

En tant que BPT, les réfugiés en provenance d’Ukraine bénéficient d’un statut particulier et n’entrent pas dans le cadre des dispositions relatives au droit d’asile. Toutefois, le cadre juridique en vigueur prévoit la possibilité pour les BPT d’exercer parallèlement leur droit fondamental à demander l’asile. Dans cette hypothèse, les BPT restent soumis au régime de la protection temporaire pendant l’instruction de leur demande et, si une protection internationale ne leur est pas accordée, ils conservent le bénéfice de la protection temporaire aussi longtemps qu’elle demeure en vigueur. S’ils sont protégés au titre de l’asile (statut de réfugié ou bénéfice de la protection subsidiaire), c’est ce statut qui prendra le relais sur celui de protection temporaire.   

Par ailleurs, le système d’asile pourrait être fortement impacté par la crise ukrainienne en raison de demandes émanant d’Ukrainiens non éligibles à la protection temporaire (ceux ayant quitté l’Ukraine avant le 24 février 2022 par exemple) ou de Russes s’opposant au conflit et persécutés à ce titre dans leur pays d’origine.

 

Photo d'illustration : © Mirek Pruchnicki