Le projet de loi sur l’asile et l’immigration, présenté en Conseil des ministres le 1er février, propose de modifier les normes relatives à l’accès au travail des demandeurs d’asile. À cette occasion, des données quantitatives ont été publiées, permettant de mieux comprendre les limites du dispositif actuel.

 

Le projet de loi sur l’asile et l’immigration, présenté en Conseil des ministres le 1er février, propose de modifier les normes relatives à l’accès au travail des demandeurs d’asile. À cette occasion, des données quantitatives ont été publiées, permettant de mieux comprendre les limites du dispositif actuel.

Le droit européen prévoit que « les États membres veillent à ce que les demandeurs aient accès au marché du travail dans un délai maximal de neuf mois à compter de la date d’introduction de la demande de protection internationale lorsque aucune décision en première instance n’a été rendue par l’autorité compétente et que le retard ne peut être imputé au demandeur ». Ce cadre supranational, prévu par l’article 15 de la directive dite « Accueil », adoptée en 2013, est transposé par tous les États membres depuis 2015. Il impose un socle minimal, que les États peuvent cependant adapter lorsqu’ils le transposent dans leur droit national, dès lors que les normes applicables ne sont pas moins favorables pour les demandeurs d’asile que celles de la directive Accueil. 

En France, le choix a ainsi été fait d’ouvrir le marché du travail dans un délai plus court que la limite posée par le droit européen. Le droit français prévoit ainsi que « l'accès au marché du travail peut être autorisé au demandeur d'asile lorsque l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, pour des raisons qui ne sont pas imputables au demandeur, n'a pas statué sur la demande d'asile dans un délai de six mois à compter de l'introduction de la demande » (Article L. 554-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile).

D’autres dispositions précisent cependant que, même quand l’OFPRA n’a pas statué au bout de six mois, l’accès au marché du travail n’est pas automatique : le demandeur d’asile est ainsi soumis aux règles de droit commun applicables aux travailleurs étrangers pour la délivrance d'une autorisation de travail. Il doit ainsi faire une demande auprès des services de l’État dans son département de résidence, en fournissant notamment un contrat de travail ou une promesse d’embauche. Pour se prononcer, l’administration examine en particulier la situation de l’emploi dans la profession et le bassin d’emploi concerné.

Le demandeur d’asile n’a donc pas droit au travail après un délai de six mois sans réponse de la part de l’OFPRA, mais simplement un droit à demander une autorisation de travail qui peut être traitée dans un délai allant jusqu’à deux mois et qui est majoritairement refusée en pratique. Par ailleurs, le Conseil d’État, dans une décision de 2020 a limité la portée de ces dispositions en indiquant notamment que le droit au travail ne pouvait être sollicité qu’entre la date au-delà de laquelle l’OFPRA a dépassé le délai de 6 mois et celle de la décision de l’OFPRA, sans s’étendre ensuite à la phase de recours – ainsi si l’OFPRA statue par exemple au 7ème mois, le demandeur d’asile n’aura eu qu’1 mois pour demander à travailler même si sa demande d’asile est encore instruite plusieurs mois en phase de recours.

En outre, le dispositif français exclut les personnes sous procédure Dublin, qui disposent bien d’une attestation de demande d’asile et sont normalement concernés par les dispositions sur l’accès au droit du travail prévues par le droit européen. C’est ce qu’a jugé le Conseil d’État dans une décision de 2022 imposant de modifier le droit français pour inclure ces demandeurs d’asile dans le dispositif d’accès au travail (ce qui n’a pas été fait à ce jour).

Au regard de l’ensemble de ces éléments, les demandeurs d’asile qui peuvent accéder au marché du travail sont très peu nombreux malgré des besoins de main d’œuvre importants dans certains secteurs, un intérêt évident en termes d’intégration au sein de la société française et la situation de précarité dans laquelle se trouvent de nombreux demandeurs qui n’est pas toujours résolue par l’attribution des conditions matérielles d’accueil - souvent limitées et dont sont par ailleurs privés un nombre croissant de demandeurs d’asile.

En pratique, le cadre juridique actuel ne permet donc qu’un accès très limité au travail pour les demandeurs d’asile. Le dernier rapport sur le sujet, publié en 2020 par les députés S. Dupont et J.N. Barrot, soulignait un « accès restreint et peu incitatif au marché du travail » pour les demandeurs d’asile et ne disposait que de chiffres pour l’année 2017 (997 autorisations de travail délivrées cette année-là). L’étude d’impact accompagnant le récent projet de loi confirme, à travers des chiffres plus récents, que très peu de demandeurs d’asile sollicitent une autorisation et qu’une minorité d’entre eux se voient autoriser à travailler : entre avril 2021 et avril 2022, sur 4 745 demandes d’autorisation de travail présentées par des demandeurs d’asile, 1 814 ont fait l’objet d’un accord, soit 38,2 % des personnes en ayant fait la demande (ce qui représente 1,7% des premières demandes enregistrées en 2021).

Le projet de loi pourrait être jugé intéressant puisqu’il propose d’ouvrir l’accès au marché du travail dès l’enregistrement de la demande d’asile pour certaines nationalités ayant un fort taux de protection (à définir ultérieurement par décret). Ce dispositif présente cependant de nombreuses difficultés : approche par nationalité contraire à l’esprit du droit d’asile qui repose sur un examen des situations individuelles, limitation aux seuls procédures normales, et maintien de l’étape administrative de sollicitation d’une autorisation de travail qui freine fortement l’effectivité de ce droit.

Tout en conservant l’objectif louable visant à favoriser l’accès au travail des demandeurs d’asile, plusieurs mesures plus simples à mettre en œuvre et plus pertinentes que celles proposées dans le projet de loi (suppression de l’autorisation de travail et/ou réduction du délai d’accès, prise en compte des demandeurs sous procédure Dublin etc.) pourraient ainsi être adoptées au cours du processus parlementaire.