Le projet de loi présenté en Conseil des ministres le 1er février 2023, et dont l’examen a pour l’instant été suspendu suite aux incertitudes politiques liées à la réforme des retraites, comporte plusieurs dispositions relatives au droit d’asile. L’une d’elles, peu commentée, pourrait transformer en profondeur l’instruction de la demande d’asile en modifiant sa phase écrite.

Actuellement, les demandeurs d’asile se présentent dans l’un des 33 guichets uniques pour demandeurs d’asile (GUDA) pour mener deux démarches, normalement dans la même journée : l’enregistrement de leur demande d’asile auprès de la préfecture (qui notamment remet à cette occasion une attestation de demande d’asile et le formulaire de demande d’asile pour ceux dont la demande relève de la responsabilité de la France) et l’attribution de leurs conditions matérielles d’accueil par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII).

S’ils ne sont pas placés sous procédure Dublin, le formulaire de demande d’asile qui leur est remis par la préfecture doit être envoyé dans un délai de 21 jours à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) par voie postale. Il doit être rempli en français, mais les demandeurs d’asile peuvent être accompagnés dans cette démarche par des professionnels de l’asile avec l’appui d’interprètes, au sein des structures de premier accueil pour demandeurs d’asile (SPADA) ou plus rarement – les orientations ayant généralement lieu après le délai de 21 jours – au sein des lieux d’hébergement pour demandeurs d’asile.

Le projet de loi prévoit de modifier cette phase d’entrée dans la procédure. Les GUDA seraient remplacés par des pôles appelés « France Asile » regroupant la préfecture et l’OFII mais aussi l’OFPRA. Il ne s’agit pas de déconcentrer l’instruction des demandes d’asile et de déployer les officiers de protection dans les régions, mais de permettre dès cette étape d’introduire la demande auprès de l’OFPRA – une mission assurée aujourd’hui par le service de l'introduction, de l'accueil et du courrier (SIAC).

Les modalités d’organisation de ce dispositif ne sont pas précisées par la loi, qui renvoie à un décret qui devra être adopté après la loi et préciser les conditions de mise en œuvre de cette disposition. L’étude d’impact précise cependant les intentions du gouvernement à ce sujet. Il est ainsi indiqué que « l'OFPRA prendra connaissance de la demande d'asile et de la situation de l'usager sans délai après l'enregistrement de la demande auprès de la préfecture », qu’il « recueillera directement les éléments nécessaires à l'introduction de la demande d'asile (…) sous la forme d'une déclaration orale du demandeur et saisies par écrit par l'agent de l'OFPRA » tandis que « le demandeur sera assisté (…) d'un interprète [et] pourra également remettre les pièces du dossier dont il dispose ». Il est également précisé que ces premiers éléments « pourront être complétés ultérieurement par l'envoi d'un récit détaillé » et qu’ « un délai raisonnable sera maintenu entre le passage par l'espace France Asile et l'entretien avec l'officier de protection, afin notamment que le demandeur puisse adresser à l'OFPRA un récit écrit, préparé au besoin avec l'appui d'un tiers ». Malgré ces éléments, il ressort également de cette étude d’impact que l’objectif de cette réforme est avant tout d’accélérer l’instruction des demandes d’asile, en permettant à l’OFPRA de disposer au plus tôt des éléments permettant d’organiser la suite de la procédure.

L’enjeu majeur autour de cette évolution législative, complétée par les dispositions réglementaires qui seront adoptées ultérieurement, est de s’assurer qu’elle n’impactera pas la qualité de l’instruction en faisant principalement reposer la phase écrite sur le seul entretien sommaire réalisé avec l’OFPRA au sein du pôle France Asile.

Bien que les éléments évoqués oralement lors de l’entretien jouent aujourd’hui un rôle prééminent dans l’évaluation du besoin de protection, l'entretien à l’OFPRA est préparé et mené sur la base de l’ensemble des éléments du formulaire actuellement en vigueur : l’officier de protection s’appuie à la fois sur  la partie relative aux informations sur le demandeur d’asile (vérifiées en entretien, ce qui permet des corrections éventuelles) et sur celles relatives aux motifs de la demande (le récit écrit sert ainsi de base pour mener l'entretien). Plus généralement, le récit écrit et ses annexes (pièces à l’appui de la demande) permettent à l’officier de protection de prendre connaissance des spécificités de la situation du demandeur d’asile en vérifiant certaines informations relatives au pays d’origine ou à la doctrine de l’OFPRA.

Du côté du demandeur d’asile, la rédaction du formulaire OFPRA, que ce soit en SPADA ou au sein d’un lieu d’hébergement pour demandeur d’asile, est l'occasion de s'approprier sa demande, d'assimiler les enjeux et d'être responsabilisé en étant acteur de sa demande. Ce temps de travail sur le formulaire et le récit permet aussi d'une certaine façon de se préparer à l'entretien (essentiel pour les personnes en SPADA qui ne bénéficieront pas d'une préparation à l'entretien dans le cadre de leur accompagnement). Pour ces personnes, ce rendez-vous autour du récit accompagné par un professionnel d’une association est souvent le seul moment où ils peuvent analyser et évoquer leurs craintes, échanger, poser des questions, identifier les éléments qui justifieraient une protection et structurer leur récit.

Afin que ce nouveau dispositif n’impacte pas la qualité de l’instruction, il faudra donc veiller à ce que les dispositions réglementaires prévoient un délai suffisant pour adresser à l’OFPRA un récit écrit complet après le passage au pôle France Asile et des modalités d’accompagnement adaptées à ces démarches (et non facultative donc potentiellement non financées dans les missions des SPADA ou lieux d’hébergement).