Suite au remaniement ministériel intervenu début juillet, Marlène Schiappa a été nommée ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur. Un décret du 31 juillet 2020 qui détaille ses attributions, indique qu’elle « veille au respect du droit d’asile » et « prépare et met en œuvre les actions en matière de politique d'intégration des étrangers en France ».

Les premières déclarations de la ministre portant sur le droit d’asile se sont concentrées, comme ses prédécesseurs, sur la question des délais. Lors d’une visite dans les locaux de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 28 juillet 2020, elle a ainsi rappelé la nécessité de « réduire à 6 mois les délais de réponse aux demandes d’asile ».

Cet objectif avait déjà été exprimé à de multiples reprises, sous diverses formes, par l’exécutif. Emmanuel Macron indiquait dès son programme aux élections présidentielles et législatives de 2017 sa volonté d’examiner « les demandes d’asile en moins de 6 mois, recours compris ». Le plan gouvernemental publié à l’été 2017 comportait un volet visant à « accélérer le traitement des demandes d’asile » à travers plusieurs mesures de renforcement des instances de l’asile (OFPRA et Cour nationale du droit d’asile) tandis que la loi sur l’asile et l’immigration promulguée en septembre 2018 a instauré des dispositions visant à accélérer le parcours de demande d’asile. En novembre 2019, le nouveau plan gouvernemental en matière d’asile et d’immigration comportait encore un point intitulé « honorer l’objectif de réduction des délais d’examen des demandes d’asile » (voir la position de Forum réfugiés-Cosi sur ce plan).

Réduire les délais de la procédure d’asile apparait de prime abord un objectif simple et consensuel. Il pose pourtant de nombreuses questions et soulève des enjeux complexes.

Plusieurs avantages peuvent être identifiés dans une instruction rapide d’une demande d’asile : le demandeur est rapidement fixé sur son sort, les pouvoirs publics peuvent sans tarder mettre en œuvre les mesures adaptées (intégration des bénéficiaires d’une protection, régularisation à un autre titre, ou éloignement des déboutés), la rotation importante des places d’hébergement pour demandeurs d’asile permet d’accueillir davantage de personnes, le budget consacré à l’allocation pour demandeurs d’asile est moindre car sa durée de versement est réduite. Une publication récente a par ailleurs démontré que « plus la durée d’instruction est longue, plus l’intégration est lente » pour ceux qui obtiennent une protection : la réduction des délais constitue donc aussi un enjeu d’intégration.

Pour autant, la réduction des délais d’instruction ne doit pas se faire au détriment d’un examen attentif des besoins de protection. Les instances de l’asile doivent disposer d’une marge de manœuvre suffisante pour approfondir l’instruction des dossiers complexes, et/ou laisser le temps nécessaire aux demandeurs d’asile pour qu’ils expriment dans les meilleures conditions leurs craintes en cas de retour– notamment pour les plus vulnérables d’entre eux. À ce titre, la volonté d’atteindre un objectif chiffré sans tenir compte de la complexité de ces situations pourrait avoir pour effet de dégrader la qualité de l’instruction. L’OFPRA a cependant réitéré à plusieurs reprises sa volonté d’approfondir l’instruction autant que nécessaire, quitte à prendre un temps important quand la situation l’exige.  

Enfin, les termes de l’objectif gouvernemental mériteraient d’être clarifiés. Le délai cible de six mois semble parfois concerner la période entre le moment où une personne manifeste sa volonté de demander l’asile et l’obtention d’une réponse définitive, alors qu’ils semblent parfois porter simplement sur la durée d’instruction par l’OFPRA et la CNDA. Dans le premier cas, l’objectif de réduction du délai suppose de faciliter l’accès à la demande d’asile –plusieurs semaines sont parfois nécessaires, dans certaines villes, pour voir sa demande enregistrée en préfecture – et de prendre en compte l’ensemble des délais de procédure qu’il convient de préserver (21 jours pour envoyer son dossier OFPRA, 1 mois pour formuler un recours devant la CNDA). Sur cette base, la procédure d’asile durait en moyenne plus de 13 mois en 2019 soit plus du double de l’objectif gouvernemental. Celui-ci peut aussi être entendu de façon plus restrictive en ne prenant en compte que le délai moyen d’instruction devant l’OFPRA (5 mois et 11 jours en 2019) et la CNDA (7 mois et 5 jours) - soit un total de 11 mois et 16 jours.

Malgré l’augmentation significative des moyens accordés à l’OFPRA et la CNDA ces dernières années pour accélérer l’instruction des demandes, l’objectif gouvernemental est donc loin d’être atteint notamment en raison d’une augmentation marquée du nombre de demandes d’asile depuis 2015. Les pouvoirs publics pourraient ainsi être tentés, pour atteindre l’objectif, de réduire le niveau de la demande en freinant les arrivées sur le territoire européen ou en posant des obstacles à l’accès à la procédure en contradiction avec les obligations issues notamment du droit international et européen.

Au regard de ces éléments, la réduction des délais de traitement des demandes d’asile apparait nécessaire -  l’ensemble des acteurs de l’asile s’accorde à dire qu’il n’est pas acceptable d’attendre une réponse à sa demande pendant plusieurs années – mais ne peut constituer l’unique indicateur de réussite d’une politique d’asile. Un système d’asile efficace permet avant tout de ne pas passer à côté d’un besoin de protection avéré : cela suppose parfois une instruction longue, des délais suffisants pour exercer l’ensemble des garanties procédurales, une augmentation ponctuelle de ces délais en cas d’augmentation inattendue du niveau de la demande, mais aussi de nombreux autres facteurs que les pouvoirs publics devraient également prioriser (notamment un dispositif national d’accueil suffisamment dimensionné et un accompagnement adéquat pour tous les demandeurs).