L’une des mesures phares de ce « plan immigration » porte sur l’établissement d’un délai de carence de trois mois pour l’affiliation à l’assurance maladie (PUMa) des demandeurs d’asile.

Le droit à la santé est un droit fondamental et l’accès à la santé, une composante essentielle des conditions d’accueil des demandeurs d’asile et de l’efficacité du système d’asile. En prétendant lutter contre le recours abusif de quelques-uns au système de santé, on pénalise l’ensemble des personnes qui sollicitent de la France une protection qu’elle accorde à 36 % d’entre elles (chiffres 2018).

À côté de la dimension proprement sanitaire, reporter le traitement des maladies physiques et mentales aurait pour conséquence d’empêcher la bonne expression des craintes de persécution auprès des instances de l’asile. Du fait de l’accélération des procédures, l’entretien devant l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) se déroule souvent pendant cette période de trois mois, et l’intervention préalable d’un professionnel de santé permet le cas échéant d’appuyer certains aspects de la demande, ou de solliciter un report de l’entretien en cas d’incapacité à s’y rendre. On touche ainsi à la qualité d’une procédure dont l’enjeu est rien moins que l’octroi d’une protection internationale.

Plus largement, la mise en place d’un délai de carence aurait un impact négatif en termes de santé publique. Certains demandeurs d’asile ont besoin d’une prise en charge rapide, notamment en matière de santé mentale au regard des traumatismes subis dans le pays d’origine ou lors du parcours migratoire, prise en charge dont le défaut peut être lourd de conséquences. La mesure envisagée va ainsi à l’encontre de la Stratégie nationale pour l’accueil et l’intégration publiée en juin 2018 qui visait à « renforcer et formaliser la détection et le suivi des vulnérabilités dès la demande d’asile et tout au long du parcours de santé » (action 39). L’orientation des demandeurs d’asile vers des dispositifs dédiés, comme le centre de santé mentale ESSOR géré par Forum réfugiés-Cosi à Villeurbanne (Rhône), ne sera plus possible dans les premiers mois de la demande. Les soins nécessaires seront reportés, risquant d’entraîner des traitements plus importants et plus coûteux par la suite. Pendant le délai de carence, les demandeurs d’asile se tourneront vers les urgences hospitalières et les permanences d’accès aux soins de santé (PASS), déjà souvent congestionnés.

L’accès rapide à un médecin est par ailleurs indispensable pour répondre à plusieurs exigences légales, comme l’organisation d’une visite médicale dès l’admission dans un lieu d’hébergement pour demandeur d’asile, et le dépôt possible d’une demande de titre de séjour pour soins qui doit avoir lieu dans les trois mois suivant l’enregistrement de la demande d’asile.

Enfin, la limitation aux soins urgents pendant le délai de carence est contraire au droit européen, qui s’impose en droit interne. L’article 19 de la « directive Accueil » impose en effet un accès pendant toute la demande d’asile au « traitement essentiel des maladies et des troubles mentaux graves » et, pour les demandeurs dont la vulnérabilité impose une adaptation des conditions d’accueil, la fourniture de « l’assistance médicale nécessaire ».

Pour toutes ces raisons, qui n’auraient pas dû échapper à ceux qui déterminent la politique de l’asile et pour lesquels la non consultation préalable des acteurs associatifs, lesquels portent pourtant une véritable expertise de terrain, est devenu un point de méthode, Forum réfugiés-Cosi demande au gouvernement de revenir sur cette décision, qui
affaiblirait le droit d’asile sans garantie d’atteindre l’objectif de « limitation des abus ».   

 

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S’agissant des autres décisions annoncées, le remplacement de la carte de retrait de l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA) par une carte de paiement est une mesure précipitée et inadaptée, décidée elle aussi sans concertation et qui dégrade les conditions d’accueil (voir le communiqué inter-associatif du 16 septembre 2019). Au demeurant, l’enveloppe de l’ADA portée dans le projet de loi de finances 2020 s’inscrit dans un habitus d’insincérité budgétaire – atténué toutefois par rapport aux années antérieures.

Concernant la politique d’hébergement, les annonces confirment les lacunes du projet de loi de finances 2020, à commencer par l’absence de création de places au sein d’un dispositif national d’accueil sous-dimensionné. En 2019 comme lors des années précédentes, l’objectif fixé dans le projet de Loi de finances (72% des demandeurs d’asile hébergés) est loin d’être atteint (ce sera 52% à la fin de l’année). L’objectif fixé par le projet de loi de finances 2020, peu ambitieux (63%), est fondé sur une hypothèse optimiste de stabilité de la demande d’asile (en hausse en 2019) et de baisse de demandeurs sous procédure Dublin.

En matière d’instruction des demandes d’asile, Forum réfugiés-Cosi se félicite de l’augmentation des moyens affectés à l’OFPRA et à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) en vue de raccourcir les délais de procédure, tout en rappelant que l’accélération des procédures ne doit pas se faire au détriment de leur qualité, notamment au regard de la vulnérabilité médicale et/ou psychologique des requérants. Par ailleurs, les créations de postes à l’OFPRA doivent également concerner les services chargés de délivrer les documents d’état-civil, sans quoi la protection accordée tarde à se traduire dans un processus d’intégration rapide, et impacte le dispositif national d’accueil en mobilisant des places au détriment des demandeurs d’asile primo-arrivants. Quant aux garanties procédurales, leur recul en Martinique et en Guadeloupe est préoccupant.

L’annonce de la fin du versement rétroactif du RSA aux personnes reconnues réfugiées (déduction faite des allocations perçues au titre de l’ADA) contrevient au caractère recognitif du statut de réfugié, conformément à la Convention de Genève de 1951. Cela viendra diminuer les ressources des personnes protégées et compliquer leur intégration, à l’encontre des priorités annoncées en matière d’intégration, que traduit une nouvelle augmentation – à saluer – des crédits dédiés à l’intégration dans le projet de loi de finances 2020.

Quant à l’accès au logement, il doit demeurer un objectif prioritaire. À cet égard, la mobilisation de 16 000 logements en 2020 – comme en 2019 – est positive, mais les objectifs antérieurs n’ont pas été atteints (8 700 logements mobilisés en 2018 sur un objectif de 20 000). En matière d’accès à l’emploi, Forum réfugiés-Cosi appuie l’objectif visant un « meilleur accès à la reconnaissance des diplômes ».

S’agissant de l’éloignement des étrangers en situation irrégulière, Forum réfugiés-Cosi regrette que les efforts portent à nouveau sur les dispositifs coercitifs, avec l’augmentation annoncée des capacités de rétention. Le droit européen prévoit que, pour assurer l’éloignement d’un ressortissant de pays tiers à l’Union européenne, les mesures coercitives ne doivent être utilisées qu’en dernier ressort et de manière proportionnée, ce qui suppose de développer prioritairement les alternatives à la rétention.

Enfin, l’approche européenne évoquée dans le plan gouvernemental décline des mesures (renforcement des frontières, sanctions des mouvements secondaires) qui ne sont pas à la hauteur des enjeux. À l’heure où, dans un contexte de fortes tensions entre les États membres, l’Union européenne peine à apporter des réponses communes en matière d’asile et d’immigration, la France doit défendre les standards de l’accueil et de la protection des réfugiés. Pour Forum réfugiés-Cosi, cette politique doit viser une solidarité effective au sein de l’Union européenne, une protection adéquate dans tous les États membres, le respect du droit d’asile dans ses relations avec les pays tiers et le développement des voies légales d’accès pour les personnes fuyant la guerre et la persécution.