Le projet de loi présenté en Conseil des ministres le 1er février 2023, a été adopté en première lecture par le Sénat le 14 novembre 2023. Alors que l’attention politique et médiatique s’est principalement portée sur les enjeux liés au droit au séjour ou à l’accès aux soins des étrangers, le texte voté par les sénateurs comporte également des dispositions qui durcissent l’exercice du droit d’asile.

 

Après une suspension de quelques mois, l’examen du projet de loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » présenté par le ministre de l’Intérieur le 1er février 2023, a repris le 6 novembre au Sénat. Aux côtés des dispositions portant sur l’éloignement des étrangers constituant une menace à l’ordre public, au cœur du projet initialement présenté par le gouvernement, le texte a suscité d’importants débat autour des enjeux liés à la régularisation des travailleurs sans papier ou encore sur l’accès à l’assurance maladie pour les étrangers en situation irrégulière – la majorité sénatoriale ayant décidé de supprimer le dispositif actuel d’aide médicale d’état (AME).

L’attention médiatique et politique autour des dispositions relatives au droit d’asile est ainsi restée très limitée. En modifiant certaines garanties procédurales nécessaires à une bonne expression des craintes en cas de retour, en limitant l’accès aux conditions matérielles d’accueil inhérentes au bon fonctionnement d’un système d’asile, et en ajoutant des dispositions qui auront pour effet de freiner l’intégration des réfugiés, les Sénateurs ont pourtant adopté un texte qui affaiblit considérablement l’exercice de ce droit fondamental.

Pour l’instruction des demandes d’asile, le texte modifie d’abord le cadre juridique relatif à l’entrée dans la procédure. La disposition prévoyant la création de Pôles France Asile, proposée dans le projet de loi initial et qui impacte la phase écrite de la procédure (voir notre article d’avril 2023), est votée avec les précisions adoptées par la Commission des lois en mars dernier : le dispositif est pour l’instant expérimental, testé pendant 4 ans dans au moins 10 départements (dont 1 outre-mer), l’indépendance des agents de l’OFPRA est rappelée, et les Sénateurs ont consacré la possibilité de compléter la demande avec « tout élément ou pièce utile jusqu’à l’entretien personnel (…) qui ne peut intervenir avant un délai de vingt et un jours à compter de l’introduction de la demande d’asile ». Des amendements ont cependant été adoptés pour préciser que la possibilité de compléter la demande ne s’applique pas à la plupart des hypothèses de procédures accélérées. Les Pôles France Asile pourront accueillir des agents en charge de l’instruction des demandes pour les missions foraines (ce qui était déjà prévu dans le projet de loi initial) mais aussi, suite à un amendement du gouvernement, des entretiens en visioconférence visant à statuer sur certaines hypothèses d’irrecevabilité.  

Les sénateurs ont aussi validé les modifications concernant la phase de recours, avec une réforme de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) consistant à généraliser le jugement à juge unique (sur les enjeux de la collégialité, voir notre article d’octobre 2022) qui s’accompagne de la possibilité de créer des chambres territoriales dans les grandes métropoles.

Par ailleurs, il est prévu que les décisions de transfert dans le cadre du règlement Dublin seraient contestables dans un délai de 7 jours (contre 15 actuellement), y compris lorsqu’elles s’accompagnent d’une décision d’assignation à résidence (48 h actuellement). Le texte précise également que l’autorité administrative est tenue de prendre une décision d’éloignement pour les déboutés dans un délai fixé par décret (hors hypothèse où la personne peut être admise au séjour à un autre titre). Cette décision sera contestable dans un délai de 7 jours, contre 15 actuellement.

La version du texte votée par le Sénat comporte également un volet portant sur l’accueil des demandeurs d’asile, non prévu dans le projet de loi initial. La seule amélioration envisagée à ce sujet dans le texte présenté en février, à travers la possibilité de demander une autorisation de travail dès l’enregistrement de la demande d’asile pour certains ressortissants de pays tiers aux taux d’accord élevés, a été supprimée.

Le durcissement en matière d’accueil est surtout marqué par l’adoption, par la Haute assemblée, d’un amendement du gouvernement visant à étendre la possibilité de placement en centre de rétention administrative (CRA) des demandeurs d’asile. L’assignation à résidence ou la rétention seraient ainsi possibles pour les demandeurs d’asile dont le comportement constitue une menace à l’ordre public ou qui ne présentent pas leur demande en préfecture (par exemple lors d’une interpellation), dans plusieurs hypothèses qui caractérisent un risque de fuite (demande tardive, demandeur déjà débouté dans un autre Etat membres etc.). Plusieurs milliers de demandeurs d’asile, qui peuvent aujourd’hui présenter normalement leur demande d’asile, verraient donc celle-ci examinée en rétention, dans les conditions actuelles d’une demande d’asile en CRA (introduction dans un délai de 5 jours, OFPRA tenu de statuer en 96 heures, pas de recours automatiquement suspensif devant la CNDA).

Le projet de loi précise par ailleurs que les hypothèses de retrait, refus ou suspension des CMA, qui étaient toutes facultatives et à l’appréciation de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), deviennent obligatoires. Pour la première fois, le cadre juridique lie les CMA et l’instruction de la demande, en prévoyant qu’un dossier doit être clôturé par l’OFPRA lorsque « le demandeur a abandonné, sans motif légitime, le lieu où il était hébergé ». En contradiction avec le caractère inconditionnel (donc sans lien avec le statut administratif) du dispositif d’hébergement d’urgence sociale de droit commun, les sénateurs ont décidé que les déboutés ne pourraient plus bénéficier de ce dispositif (sauf circonstances exceptionnelles). Ces derniers ne pourraient par ailleurs plus bénéficier d’un délai pour se maintenir dans le lieu d’hébergement après une décision définitive de rejet (actuellement une présence est autorisée pendant 1 mois).

Enfin, le projet de loi voté par le Sénat impacte l’intégration des personnes qui obtiennent une protection au titre de l’asile, à travers une restriction des critères de la réunification familiale proposée par un amendement du gouvernement. Il est notamment prévu que les enfants rejoignant ne peuvent bénéficier de la réunification que jusqu'à 18 ans (contre 19 aujourd'hui), que les personnes qui ont cessé d'entretenir avec le BPI des "relations suffisamment stables et continues pour former une famille" sont exclues de ce droit, ou encore que la demande de visa pour réunification familiale doit être introduite dans les 18 mois suivant l'octroi de la protection (à défaut ce sont les conditions du regroupement familial qui s'appliquent).

Le projet de loi doit désormais être examiné par la Commission des lois de l’Assemblée nationale, dont les travaux sont prévus jusqu’au 3 décembre, avant les débats en séance publique qui débuteront autour de la mi-décembre (voir le dossier législatif).