La loi sur l’asile et l’immigration adoptée définitivement par l’Assemblée nationale a fait l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel. Ce dernier, dont la décision devrait être connue le 25 janvier, pourrait censurer plusieurs mesures, notamment en matière d’asile et de rétention.

Le parcours législatif de la loi « pour une immigration contrôlée, une intégration réussie », présenté en Conseil des ministres le 1er février 2023, s’est achevé par un vote du texte - préalablement amendé par le Sénat et suite à un accord de la commission mixte paritaire - le 19 décembre 2023.

Plusieurs acteurs ont cependant saisi le Conseil constitutionnel, suspendant ainsi la promulgation de la loi par le président de la République et donc son application. Les saisines du président de la République, de la présidente de l’Assemblée nationale, d’un groupe de plus de 60 sénateurs et d’un autre de plus de 60 députés, ont par ailleurs été accompagnées de « contributions extérieures » (voir le communiqué de Forum réfugiés à ce sujet). Les documents issus de ces saisines ou contributions extérieures font apparaitre de nombreux arguments juridiques sur la non-conformité de plusieurs dispositions à la Constitution.

En matière d’asile, c’est d’abord la fin du principe de la collégialité des formations de jugement à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) qui est contestée. Si le principe de la collégialité n’a pas encore été consacré explicitement dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel jusqu’ici, il participe du droit à un recours effectif et constitue un gage d’indépendance et d’impartialité des juridictions, autant de notions ancrées dans notre droit constitutionnel. La collégialité est par ailleurs consubstantielle au fonctionnement de la CNDA, au regard de la spécificité de ce contentieux, et participe à la réalisation du droit constitutionnel de l’asile.

La possibilité ouverte par la loi de statuer en vidéo-audience pour l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) pour certaines décisions d’irrecevabilité pourrait également être censurée par le Conseil en ce qu’elle n’offre pas toutes les garanties nécessaires à la confidentialité de l’entretien déjà reconnue dans des décisions de 1997 et 2003 comme une « garantie essentielle du droit d’asile, principe de valeur constitutionnelle ».

La loi permet également de juger irrecevable une demande d’asile lorsque la personne bénéficie dans un autre Etat (où il est admissible) du statut de réfugié (déjà prévu précédemment) mais aussi s’il bénéficie d’une « protection équivalente ». En l’absence de définition claire de cette protection équivalente, la loi pourrait être jugée inintelligible sur ce point et contraire au droit constitutionnel d’asile.

L’une des dispositions contestées instaure une clôture automatique de l’examen de la demande d’asile lorsqu’un demandeur abandonne sans motif le lieu d’hébergement vers lequel il a été orienté (situation qui permettait déjà le retrait des conditions d’accueil). Ce lien inédit entre les conditions matérielles d’accueil et l’instruction de la demande pourrait aussi s’avérer contraire au droit constitutionnel d’asile notamment car il revient à empêcher l’examen de demandes potentiellement fondées.

Enfin, le Conseil constitutionnel pourrait aussi censurer la disposition qui impose une sortie immédiate du lieu d’hébergement pour les personnes déboutées de leur demande (alors qu’elles disposent aujourd’hui d’un délai d’un mois de présence autorisée) notamment au regard des exigences constitutionnelles en matière de respect de la dignité humaine.

Des dispositions liées à la rétention administrative pourraient également s’avérer contraire à la Constitution. Le Conseil constitutionnel pourrait ainsi censurer l’article qui permet de placer en rétention sur le seul motif d’une menace à l’ordre public d’un étranger, indépendamment des perspectives d’éloignement qui justifiaient jusqu’alors cette mesure de privation de liberté : le Conseil constitutionnel avait ainsi précédemment jugé conforme le dispositif de rétention car il portait une atteinte proportionnée au droit à la sûreté et à la liberté individuelle, ce qui ne serait peut-être plus le cas ici. 

En interdisant la rétention des mineurs sur l’ensemble du territoire, sauf à Mayotte où cette mesure ne s’appliquerait qu’en 2027, le législateur pourrait avoir méconnu le principe d’égalité sans justification.

La loi prévoit aussi d’élargir largement les possibilités de placement en centre de rétention des demandeurs d’asile, notamment lorsqu’ils représentent une menace à l’ordre public ou lorsqu’ils formulent leur demande en dehors des autorités compétentes (par exemple lors d’une interpellation à la frontière ou sur le territoire). La constitutionnalité de ces dispositions est très incertaine. En matière de liberté individuelle, le Conseil constitutionnel n’a jusqu’ici validé le dispositif français de rétention administrative qu’au regard des perspectives d’éloignements (inexistantes ici) qui justifient l’enfermement. Les atteintes au droit d’asile pourraient aussi être relevées, ces dispositions étant susceptibles d’aboutir au placement en rétention de personnes aux demandes d’asile complexes qui ne peuvent être correctement instruites dans le cadre dégradé de l’asile en rétention (délais réduits pour demander l’asile et pour apporter une décision, pas de recours automatiquement suspensif, entretien en visio). Ces dispositions, comme beaucoup d’autres, constituent par ailleurs un imbroglio juridique qui les rendent globalement inintelligibles.